(Montréal) Chaque mois, plus d’un millier de Québécois se retrouvent aux urgences pour une intoxication à tout type de drogue et bon nombre d’entre eux n’ont même pas la chance d’être secourus ou traités. Afin de sensibiliser la population et les consommateurs aux risques des surdoses, plusieurs organismes communautaires se sont réunis, samedi après-midi, à la Place Émilie-Gamelin, à Montréal, dans le cadre de la Journée internationale de sensibilisation aux surdoses.

L’événement a débuté vers 13 h avec de la musique, des kiosques d’information et des ateliers de création. Un « tintamarre pour réveiller les morts » devait suivre à 14 h 30. Des discours, des témoignages et des prestations artistiques étaient prévus en fin d’après-midi, puis la journée devait prendre fin par un repas BBQ et maïs avant de clore le rassemblement vers 19 heures.

« Ça se passe un peu partout dans le monde, toujours le 31 août. On est là surtout pour commémorer les gens qui sont partis trop tôt en raison d’une surdose », a souligné Naoual Laaroussi, responsable des implications et des communications à l’Association québécoise pour la promotion de la santé des personnes utilisatrices de drogues (AQPSUD).

Elle précise que personne n’est vraiment à l’abri d’une surdose et que cette journée s’adresse donc à tout le monde. « On ne sait jamais qui consomme et qui pourrait faire une surdose, prévient Mme Laaroussi. Ça pourrait être votre grand-père qui prend de l’oxycodone pour sa maladie et qui, un jour, en prend trop. Comme ça peut aussi être quelqu’un dans la rue qui prend de l’héroïne et qui se retrouve avec du fentanyl. »

Ce rassemblement n’a pas pour but d’encourager les consommateurs à cesser de consommer, mais plutôt à être prudents.

« Si la personne arrive à gérer sa consommation, on va seulement l’aider à ne pas contracter d’ITSS, à ce qu’elle ne partage pas son matériel, à ce qu’il n’y ait pas d’autres méfaits et que sa santé se porte bien », décrit celle qui parle d’intervention sociale et humanitaire plutôt que contraignante. « Restreindre les gens, la police s’occupe déjà de ça », ajoute-t-elle.

119 décès en trois mois

D’après les données de l’Institut national de santé publique du Québec, ce sont 119 personnes qui ont perdu la vie en raison d’une surdose liée à tout type de drogue au cours des trois premiers mois de l’année. Un bilan en forte hausse par rapport au premier trimestre de 2018, où 82 personnes avaient perdu la vie dans les mêmes circonstances.

En ce qui concerne les visites aux urgences pour des intoxications liées aux opioïdes, le mois de mars 2019 a été le pire depuis septembre 2017 avec 98 admissions recensées.

De manière plus large, les intoxications à toutes formes de drogues, incluant opioïdes, psychotropes et substances non précisées, mars 2019 semblait annoncer un retour à la hausse qui coïncide avec l’arrivée du printemps comme on a pu l’observer dans les années précédentes. Un total de 1073 intoxications ont été compilées, soit sensiblement le même nombre qu’en mars 2018 et légèrement moins qu’en mars 2017.

Selon Naoual Laaroussi, les gens isolés, dans la rue, sont plus à risque de faire des surdoses parce qu’ils n’ont pas de réseau fort d’amis ou de famille pour les supporter s’il arrive quelque chose.

Elle conseille de ne pas consommer seul, de s’assurer d’avoir de la naloxone (l’antidote aux surdoses d’opioïdes) et de suivre la formation gratuite pour apprendre comment l’administrer et ranimer quelqu’un en détresse. De plus, on suggère aux consommateurs d’espacer leurs doses et de réduire la quantité lorsque l’on ne sait pas exactement ce que contient la substance.

Penser à ceux qui restent

Rencontrée à la Place Émilie-Gamelin, Emmanuelle Labelle-Sylvestre est rédactrice au journal L’injecteur, une publication « par et pour les personnes qui utilisent des drogues au Québec » produite par l’AQPSUD.

La jeune femme confie avoir perdu de nombreux amis au fil des ans et même avoir retrouvé mort, dans son propre lit, un homme qu’elle fréquentait. Elle-même dit avoir survécu à plusieurs surdoses. « Six ou sept fois », lance-t-elle alors que l’on comprend que ce n’est pas le genre de souvenir auquel on veut s’accrocher.

« On ne sait pas ce qu’il y a après la mort, mais ce sont tous ceux qui restent qui souffrent, partage-t-elle en tenant son chien à ses pieds. Et quand tu souffres et que tu consommes, tout ce que tu penses à faire c’est de te geler plus pour oublier. C’est un cercle vicieux. »

Emmanuelle Labelle-Sylvestre affirme avoir modifié son mode de consommation pour se tourner vers des médicaments sous ordonnance, dont principalement de la morphine. Un moyen d’être rassurée sur la qualité du produit et sur la dose précise des capsules.

Elle reconnaît toutefois que cette volonté de changement doit venir d’une réflexion personnelle à chacun. « Tu dois parfois te poser la question : est-ce que ma vie vaut plus que ce hit là ? », mentionne la jeune femme.

Afin de s’assurer que ses amis soient également en sécurité, elle dit prendre d’autres précautions comme de les laisser consommer d’abord. « S’il se passe quelque chose et que j’ai à ranimer quelqu’un, je veux être alerte et pouvoir réagir vite », explique celle qui a vu la situation s’aggraver sérieusement depuis l’arrivée du fentanyl et du carfentanil sur le marché.

À son avis, il serait beaucoup plus sécuritaire de permettre aux gens de se faire prescrire les substances qu’ils veulent consommer. Elle dit avoir rencontré de nombreux autres consommateurs de morphine qui ont d’ailleurs commencé après avoir subi un accident et qui sont devenus dépendants.

« Si on pouvait simplement se faire prescrire notre substance, tout le monde aurait accès à des drogues sécuritaires et des doses raisonnables sans avoir à risquer d’aller en prison ou risquer sa vie pour arrêter de souffrir », croit-elle.

Sa collègue Naoual Laaroussi voit un mal profond et plus répandu qu’on ne l’imagine dans cette consommation d’opioïdes et autres substances antidouleur.

« Ça montre qu’il y a un problème de société profond, selon moi. Les gens ont besoin de ça et c’est plus profond que la douleur physique, c’est moral et mental. La société actuelle n’est pas habilitée pour aider tout le monde », conclut-elle.