(Montréal) La médecine souligne cette année le 35e anniversaire des premières greffes cardiaques pédiatriques réussies.

Le centre médical de l’Université Columbia, à New York, revendique l’honneur de la première greffe réussie le 9 juin 1984. Le petit James Lovett n’avait que quatre ans au moment de l’intervention. Son nouveau cœur lui a permis de survivre jusqu’à l’âge adulte, mais avec une certaine ironie, il est mort dans son sommeil alors qu’il venait à peine d’entamer ses études en médecine.

C’est au CHU Sainte-Justine qu’a eu lieu la première transplantation cardiaque pédiatrique au Canada exactement un mois plus tard, soit le 9 juillet 1984. Le jeune homme de 15 ans, Pierre, attendait un nouveau cœur depuis cinq ans. Grâce à sa greffe, il deviendra enseignant et récoltera plusieurs médailles nationales et internationales en course à pied.

La Presse canadienne a profité de cet anniversaire pour discuter de l’état des choses avec une cardiologue de Sainte-Justine, la docteure Marie-Josée Raboisson.

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En quoi le domaine des greffes cardiaques pédiatriques a-t-il évolué depuis 35 ans ?

Il y a eu des progrès au niveau du traitement immunosuppresseur. Après une transplantation cardiaque, il faut prendre pendant toute sa vie un traitement pour éviter que notre organisme ne rejette le nouveau cœur. Initialement il y avait un traitement qui s’appelait la cyclosporine, qui était un traitement très efficace et qui a vraiment changé le visage de la transplantation en général, cardiaque en particulier, mais il y avait beaucoup d’effets secondaires, notamment esthétiques avec une pilosité très importante, une hypertrophie des gencives… C’était un traitement qui était très difficile à prendre. Imaginez de jeunes adolescentes qui avaient ces problèmes esthétiques ! Ce n’était pas facile pour elles. Puis il y a eu l’arrivée du tacrolimus, qui n’a aucun de ces effets secondaires, avec une très bonne efficacité en termes d’immunosuppression. Ça a été un grand pas.

On a aussi beaucoup diminué l’usage des corticostéroïdes. On s’est rendu compte à long terme que c’était assez pernicieux, notamment pour la greffe cardiaque parce que ça favorise l’atteinte des artères coronaires du greffon, l’athérosclérose et des choses comme ça, l’hypertension artérielle, il y a plusieurs effets secondaires…

On n’est pas encore capables de personnaliser le traitement immunosuppresseur pour chacun de nos patients, mais (on a découvert) qu’au bout de dix ou quinze ans, on n’a pas besoin d’une immunosuppression aussi importante qu’immédiatement après la greffe.

Il y a aussi eu beaucoup de progrès dans la détection des complications — les infections, le traitement des infections — ce qui fait que l’espérance de vie d’un enfant qui a une greffe cardiaque est beaucoup, beaucoup plus longue qu’elle ne l’était à l’époque.

En quoi l’expérience d’un patient transplanté il y a 35 ans est-elle différente de celle d’un patient transplanté aujourd’hui ?

L’hospitalisation est beaucoup plus courte, il y a beaucoup de suivi en ambulatoire, il y a une personnalisation des soins… Actuellement, un enfant de moins d’un an qui a une greffe cardiaque, c’est au moins 25 ans d’espérance de vie en général. Si on fait une greffe dans les bonnes conditions, avec un enfant qui est dans un bon état, un bon suivi, etc., on peut espérer même une meilleure survie que ça.

Pourquoi un enfant peut-il avoir besoin d’une greffe cardiaque ?

L’indication de greffe varie avec l’âge. Habituellement, chez les petits enfants de moins d’un an, on a beaucoup de cardiomyopathies, une maladie du muscle cardiaque, souvent le cœur est trop gros et ne se contracte pas bien. On a aussi la maladie un peu opposée, c’est-à-dire que le cœur est trop épais et il n’est pas capable d’assurer une fonction correcte parce qu’il ne se remplit pas suffisamment. Après un an, on a également les cardiomyopathies, mais on voit aussi apparaître les cardiomyopathies congénitales, donc des enfants qui naissent avec une malformation. Ce sont souvent ce qu’on appelle des cœurs univentriculaires, c’est-à-dire qu’il y a un seul ventricule et avec le temps sa fonction diminue, la valve fuit et on aboutit à une insuffisance cardiaque terminale. Nous faisons entre 3,5 et 5,5 greffes par an à Sainte-Justine. Nous avons eu une année assez productive : on a fait trois greffes déjà cette année, alors qu’on est à peine au début de la deuxième moitié de l’année.

Quels sont vos plus grands défis ?

Les temps d’attente de greffe sont très, très longs. Au mieux du mieux, c’est dans les trois ou quatre mois, mais on a des enfants qui sont là plus d’un an sous traitement intraveineux avec un support cardiaque pour attendre leur greffe. Il y a aussi une indication de taille, on ne peut pas prendre n’importe quel poids, n’importe quelle taille pour n’importe quel enfant. C’est donc le grand défi, au Québec et au Canada en général, de trouver des greffons.

Qu’est-ce qui se profile à l’horizon ?

Il y a toutes les thérapies de cellules-souches qui sont en train d’avancer. Il y a toutes les recherches sur comment on peut obtenir un cœur ou un tissu à partir des cellules-souches. Il y a beaucoup de progrès qui sont faits concernant la personnalisation des traitements immunosuppresseurs. Il y a aussi beaucoup de travail qui est fait par différentes organisations pour favoriser le don d’organes.

Quels souvenirs gardez-vous de votre première greffe ?

C’était une petite fille de moins d’un an, blonde aux beaux yeux verts, il y a 12 ans. Je la vois très régulièrement, c’est une belle petite préadolescente, très jolie. C’est un peu comme nos enfants, quand même. On est très heureux de les voir s’épanouir, s’embellir, ils ont toutes sortes de petites confidences à nous faire. Ils ne viennent pas voir un membre de leur famille, mais ils viennent quand même voir quelqu’un qui prend soin d’eux depuis qu’ils existent.

Quelles relations personnelles développez-vous avec vos patients et leur famille ?

(Pause) Ce sont des gens qu’on connaît déjà beaucoup d’avant la greffe. J’ai beaucoup d’admiration pour les enfants et surtout pour leurs familles, parce que c’est des familles qui abandonnent tout, une année de leur vie, deux années de leur vie, pour venir à l’hôpital avec leur enfant, pour rester avec leur enfant quand il est hospitalisé. Je trouve admirable ce que ces familles sont capables de soutenir pour leur enfant. Elles mettent leur vie entre parenthèses pendant un ou deux ans, souvent il y a seulement un parent qui travaille et un qui reste à l’hôpital pour s’occuper de l’enfant… Je trouve ça exceptionnel et on s’attache beaucoup à eux. Et puis après évidemment il y a le bonheur d’avoir un greffon compatible, le bonheur de l’annoncer, et puis quand ça se passe bien, ça tisse beaucoup de liens avec cette famille. Ils savent qu’on fait tout notre possible pour sauver leur enfant, on met toutes les ressources possibles de la médecine moderne pour sauver leur enfant, donc effectivement je pense que ça donne des rapports qui sont très forts entre les parents et l’équipe soignante.

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Les propos de la docteure Raboisson ont été abrégés à de fins de précision et de clarté.