(Montréal) La lutte aux cancers pédiatriques a tout d’abord réalisé des progrès fulgurants : le taux de survie, qui était d’à peine 5 ou 10 % à la fin des années 1960, avait bondi à 80 % au milieu des années 1990.

Puis, plus rien, ou si peu. En l’absence de nouveaux médicaments ajoutés à l’arsenal dont disposent les médecins pour combattre les cancers dont souffrent les enfants et les adolescents, la situation s’est stabilisée : depuis 25 ans, donc, persiste un 20 % de jeunes patients face à qui la médecine doit s’avouer impuissante.

Une initiative du CHU Sainte-Justine, et qui fait l’objet d’une étude dans le journal médical JAMA Network Open, donne toutefois à ces patients un nouvel espoir de battre leur maladie.

On pourrait même parler de la meilleure chance possible qui leur est offerte de la terrasser.

« Il restait un 20 % pour qui on ne pouvait plus rien faire. On essayait tout ce que la médecine moderne offre pour l’instant, et le constat à la fin était que malheureusement, il ne vous reste que quelques mois à vivre. Généralement, quand on fait ce constat-là, la moyenne d’espérance de vie est de trois mois », a raconté le professeur Daniel Sinnett, avec qui La Presse canadienne s’est entretenue en primeur en marge de la publication de l’étude.

Le programme de médecine de précision TRICEPS (un acronyme approximatif de thérapie ciblée en oncologie pédiatrique) a vu le jour en 2014 quand le professeur Sinnett et ses collègues ont réalisé qu’ils disposaient à Sainte-Justine de ce qu’il appelle en riant la « Sainte-Trinité » : le besoin, l’équipement et l’expertise.

Le but du programme : brosser le portrait génétique des cellules cancéreuses afin de comprendre pourquoi la maladie résiste aux traitements et identifier la thérapie la plus efficace pour la combattre.

Résultats inespérés

Cinq ans plus tard, les résultats dépassent toutes les attentes des chercheurs.

« On parle de 84 patients dans l’étude, mais on est rendus à environ 125, a révélé le professeur Sinnett. On a rapidement trouvé des choses actionnables chez 87 % des patients. Je vous avoue qu’on a été surpris par le chiffre. »

Ces patients — qui souffrent notamment de tumeurs hématologiques, de tumeurs solides et du cerveau — profitent des progrès fulgurants de la technologie. Avec la technologie de séquençage de nouvelle génération, a dit M. Sinnett, il est possible de séquencer le génome des cellules tumorales en seulement 27 heures, pour environ 1500 $. En comparaison, le séquençage du premier génome humain a pris 15 ans et coûté 3 milliards.

Rappelons que l’espérance de vie des patients pour qui la médecine ne peut plus rien faire est en moyenne de trois mois ; on comprend alors que chaque minute compte.

« On peut séquencer la tumeur de l’enfant et la comparer avec ses cellules normales. C’est un peu comme comparer deux éditions d’un livre pour trouver des fautes de frappe. Ce sont ces mutations-là, ces fautes de frappe-là qui nous intéressent, et les fautes de frappe qui sont spécifiques à la tumeur », a illustré M. Sinnett.

Les chercheurs identifient habituellement chez chaque patient cinq ou dix altérations qui peuvent expliquer ce qui se passe au niveau de la tumeur. Il faut ensuite déterminer lesquelles sont « actionnables » : est-ce qu’il y a une mutation qui pourrait être ciblée par un médicament qui n’a pas été pensé pour la pathologie à laquelle nous sommes confrontés ?

C’est ce qu’on appelle le « repositionnement de médicament ».

« Par exemple ça peut être un médicament utilisé pour un autre cancer pédiatrique ou un cancer adulte, qui n’est pas utilisé pour le cancer qu’on a devant nous, mais finalement, quand on regarde la mutation […] plutôt que le diagnostic, ben c’est un bon match. Ça devient un potentiel de thérapie ciblée. On a telle molécule qui peut être utilisée pour ce patient-là parce qu’il a telle altération », a expliqué M. Sinnett.

Le séquençage du génome du cancer ouvre donc la porte à un traitement optimal de la maladie, ce qui est ensuite évidemment associé à une issue optimale pour le patient.

« On risque de gagner notre bataille sur le 20 % plus rapidement parce qu’on ne va pas essayer deux ou trois approches en attendant, a estimé M. Sinnett. Si on personnalise l’approche dès le départ, on risque d’avoir moins de séquelles à long terme plus tard chez les survivants. En personnalisant on traite moins de façon générique, donc les cellules normales risquent peut-être moins d’être endommagées. »

Patient zéro

Le premier patient à avoir participé à ce programme, le « patient zéro », a permis aux chercheurs de croire qu’ils étaient sur la bonne voie.

« Une très belle mutation actionnable avait été identifiée, la molécule existait et elle avait été utilisée dans une autre condition pédiatrique, s’est souvenu Daniel Sinnett. Le patient n’avait plus que quelques semaines à vivre, il avait des métastases partout aux poumons… À l’intérieur de neuf mois, il était guéri, il était retourné à l’école et il jouait au hockey. »

Dans d’autres cas, les profils moléculaires ont permis de comprendre pourquoi la tumeur ne répondait pas aux traitements et d’identifier de nouvelles avenues thérapeutiques qui n’auraient pas été envisagées autrement.

« Mais le 20 %, c’est un par un. C’est vraiment de la médecine de précision », a dit M. Sinnett.

Cette approche est un véritable travail d’équipe. Puisque les jours de ces patients sont littéralement comptés, on ne peut pas se permettre d’attendre trois mois avant de procéder à une biopsie ou d’obtenir les résultats des analyses en pathologie.

Le jeune chirurgien de TRICEPS, après avoir retiré une tumeur, ira souvent la porter lui-même au laboratoire de pathologie, afin d’éviter toute perte de temps.

« Si tout le monde fait ça, on est capables de le faire. On fait des miracles », assure Daniel Sinnett.