On les croit faits d'acier, mais ils sont humains : les ambulanciers paramédicaux peuvent être marqués par des interventions très difficiles. Un nouveau service de pairs aidants mis au point par Urgences-santé suscite l'intérêt d'autres services ambulanciers au pays.

Les interventions qui marquent les ambulanciers paramédicaux sont impossibles à anticiper.

Parfois, des appels difficiles - un accident sanglant, par exemple - peuvent ne pas les affecter outre mesure. D'autres fois, une intervention en apparence banale, comme une personne âgée isolée dans sa demeure, peut les hanter durant des années.

Geneviève Beaudoin a été affectée par une intervention « horrible » vécue l'an dernier. L'intervention concernait un enfant, qui est mort.

« Je suis ambulancière paramédicale depuis huit ans, ce n'était pas mon premier appel qui concernait un enfant et qui s'est mal terminé, dit Mme Beaudoin. La différence, c'est que là, j'ai moi-même des enfants. »

Ce jour-là, Mme Beaudoin s'est fait happer par le drame humain qui se déroulait devant ses yeux.

« C'était juste horrible », se souvient-elle.

« Les parents, c'étaient des gens comme toi et moi. Ce n'était pas juste, ce qui leur arrivait. Tu t'imagines à leur place. Tu sympathises... Dans ta tête, ça se mélange. C'est trop proche. »

- L'ambulancière paramédicale Geneviève Beaudoin, à propos d'une intervention effectuée l'an dernier

Parfois, c'est de retour à la centrale que les ambulanciers paramédicaux réalisent qu'ils ont été affectés par ce qu'ils viennent de vivre. D'autres fois, ce sont des collègues qui se rendent compte, des jours plus tard, qu'ils sont tristes ou déprimés.

Au cours de l'intervention très difficile qu'elle a vécue, Geneviève Beaudoin a su sur-le-champ qu'elle n'allait pas bien.

Elle a appelé un pair aidant, soit un ambulancier paramédical spécialement formé pour intervenir auprès de collègues qui vivent des chocs psychologiques. Une paire aidante est arrivée peu après.

« J'attendais dans le camion. Quand elle est arrivée, j'ai eu les yeux pleins d'eau. J'ai pleuré. J'ai perdu la notion du temps. »

Situations imprévisibles

Josée Coulombe, psychologue chez Urgences-santé, est celle qui a mis sur pied le programme de pairs aidants en 2018. « C'est un programme de premiers soins psychologiques », dit-elle.

Elle note que ce sont les situations nouvelles, les situations imprévisibles et celles sur lesquelles les intervenants n'ont pas de contrôle qui entraînent le plus de stress.

« Dans le passé, on demandait aux ambulanciers paramédicaux qui avaient vécu une intervention difficile de parler de leurs émotions et de leurs pensées. Or, ce n'est pas de ça qu'ils ont besoin. Les gens en état de choc ont besoin de sentir qu'ils ne sont pas seuls, qu'il y a des gens qui se préoccupent d'eux. »

Le programme commence par une rencontre de 30 ou 40 minutes, au cours de laquelle les pairs aidants ont des actions précises à faire. « Ensuite, il y a un suivi qui est fait de 24 à 48 heures après. Pourquoi ? Parce que les gens ont une période de réaction au choc plus longue. Certains vont dire qu'ils n'arrivent pas à dormir, qu'ils sont tristes, qu'ils ont de la difficulté à prendre des décisions, même des décisions sans conséquence. »

Lancé en juin 2018, le programme compte déjà 57 interventions réalisées par des pairs aidants. Dans la majorité des cas, les gens récupèrent de l'évènement sans avoir de séquelles à long terme.

« C'est vital »

Pour devenir pairs aidants, les ambulanciers paramédicaux doivent d'abord avoir été recommandés dans une liste remise anonymement par chaque ambulancier. Ils suivent ensuite une formation spécialisée.

Annie Bourassa, ambulancière paramédicale depuis 16 ans, fait partie de ceux qui ont été nommés par des collègues.

« Les ambulanciers paramédicaux et les répartiteurs médicaux d'urgence, on est un peu des éponges, et on est toujours là où ça va mal. C'est rare qu'on nous appelle pour nous dire qu'aujourd'hui, ça va super bien. »

- Annie Bourassa, ambulancière paramédicale et paire aidante

Mme Bourassa a elle-même vécu deux évènements à stress élevé, en 2011 et 2013. « Le programme des pairs aidants n'existait pas encore, mais je sais aujourd'hui que j'en aurais eu besoin », dit-elle.

Josée Coulombe note que d'autres services ambulanciers au Québec et ailleurs s'intéressent au programme. « J'ai plusieurs demandes pour aller présenter mon travail. L'intérêt est là. Ça prend les ressources pour le faire. »

Pour Geneviève Beaudoin, avoir reçu de l'aide après son intervention difficile l'an dernier n'a pas de prix.

« Je me suis sentie comprise, alors que même ma famille ne pouvait pas comprendre ce que j'avais vécu. Je vais faire ce travail pendant peut-être 25 ans encore, alors il va y en avoir d'autres. Cette aide-là, c'est précieux. C'est vital. »