Les punitions excessives des parents durant l’enfance diminuent la capacité du cerveau des adolescents à contrôler l’anxiété, selon une nouvelle étude montréalaise. L’impact est particulièrement problématique parce que ces comportements sont relativement fréquents comparativement à d’autres stresseurs comme un divorce ou un déménagement.

« On savait que les abus physiques et sexuels ont des impacts sur les régions du cerveau qui traitent les émotions », explique Valérie La Buissonnière-Ariza, auteure principale de l’étude publiée l’hiver dernier dans la revue Biological Psychology, qui a fait ces analyses durant son doctorat en neurosciences à l’Université de Montréal. 

« Mais des études montraient que des formes d’adversité “bénignes”, comme les pratiques parentales coercitives, sont liées à la dépression, au suicide et aux troubles anxieux à l’âge adulte. Alors on a regardé comment diffère le cerveau d’adolescents qui avaient été exposés à différents niveaux de punitions. » 

Tout en prévenant que l’étude ne permet pas d’établir un lien de causalité, la chercheuse observe des différences importantes. « On le voit dans l’amygdale, qui est une région du cerveau impliquée dans le traitement de la peur. Elle devient moins capable de distinguer les stimuli qui sont ou non menaçants. Il y a aussi moins de connectivité entre l’amygdale et l’insula, qui est une région qui intègre les informations viscérales et les envoie au cortex préfrontal, qui prend les décisions conscientes. Les enfants dont les parents ont eu des pratiques coercitives ont une moins bonne conscience émotionnelle, alors le cortex préfrontal n’aura pas toutes les informations pour prendre la bonne décision. 

« Ensuite, on a vu une différence entre la communication entre l’amygdale et le cortex cingulaire antérieur, qui est associé à l’anxiété et à la catastrophisation. Chez les enfants anxieux dont les parents avaient des pratiques coercitives, il y a plus de communication, alors l’amygdale envoie davantage de signaux erronés sur des dangers inexistants. Mais chez les enfants anxieux non exposés aux pratiques coercitives parentales, il y a moins de communication. L’amygdale fonctionne bien mais n’est pas capable de calmer le cortex cingulaire antérieur. » 

L’étude portait sur 112 adolescents et leurs parents.

Colère

Les « pratiques parentales coercitives » incluaient, par exemple, « se mettre en colère en punissant l’enfant », « donner une fessée », « élever la voix ou crier » et « utiliser un châtiment corporel ». La colère est-elle essentielle pour que l’effet néfaste apparaisse ? 

« La colère est un sentiment adéquat, mais il ne faut pas le démontrer avec des actions brusques comme prendre le bras de l’enfant ou dire “Tu me déçois” à répétition. Il faut être capable de discuter calmement des motifs de la colère », explique Mme La Buissonnière-Ariza.

Et un parent qui est calme, mais donne une tape sur la main de son enfant pour le punir ? « Je vous avouerai que les parents qu’on a rencontrés ne donnaient pas une petite tape et ne se calmaient pas avant. Si on est calme, c’est une zone grise. Dans certaines cultures d’ailleurs, les châtiments corporels sont très répandus, et les enfants semblent moins affectés. » 

Quelle est l’ampleur de l’impact sur le cerveau des pratiques parentales coercitives par rapport aux sévices d’un côté et aux stresseurs comme le divorce ou les déménagements de l’autre ? « On ne peut pas comparer pour des raisons techniques, mais les mêmes régions sont affectées. Nos enfants étaient psychiatriquement sains, sans trouble post-traumatique, donc ils n’avaient vraisemblablement pas été victimes d’abus. Par rapport aux stresseurs comme le divorce, on peut dire que les pratiques parentales coercitives surviennent plus régulièrement. C’est un stress chronique. »

Choisir le bon traitement

La prochaine étape est de voir l’effet de ces atteintes du cerveau sur la réponse aux différents traitements de l’anxiété. « Il se peut que les enfants qui ont fait l’objet de pratiques parentales coercitives répondent mieux à certains traitements, puisqu’il y a chez eux une question de transmission de l’information, dit Mme La Buissonnière-Ariza. Nous voulons aussi voir l’impact sur le cerveau de l’aliénation parentale et des tensions entre parents. » 

L’aliénation parentale survient quand l’un des deux parents diabolise l’autre sans motif valable et qu’un conflit de loyauté empêche l’enfant de voir le parent attaqué.

La situation au Québec en chiffres

Proportion des parents qui crient après leur enfant... 30 % Une ou deux fois par année 23 % Six fois ou plus par année  

Proportion des parents qui menacent leur enfant de lui donner une fessée sans le faire... 8 % Une ou deux fois par année 1,3 % Six fois ou plus par année  

En 1999, proportion des parents qui pensaient que la fessée est une méthode efficace pour éduquer un enfant 12 % Chez les mères 16 % Chez les pères

En 2018, proportion des parents qui pensaient que la fessée est une méthode efficace pour éduquer un enfant 4,4 % Chez les mères 5,7 % Chez les pères  

Source : ISQ