Jugée «inéquitable», la rémunération de plus de 250 infirmières françaises pratiquant au Québec est en train de devenir «une pomme de discorde internationale entre la France et le Québec», convient le ministre de la Santé Gaétan Barrette.

Ces infirmières, qui travaillaient déjà dans les hôpitaux québécois avant la signature en 2014 d'une entente France-Québec sur la reconnaissance mutuelle des diplômes, s'estiment «lésées», alors que certains établissements ont refusé de reconnaître leur expérience professionnelle afin de fixer l'ajustement salarial auquel elles avaient droit. Elles réclament désormais des millions en revenu impayé.

Au cours des derniers mois, ce qui était à la base un conflit de travail est même devenu un enjeu diplomatique. La consule générale de France au Québec, Laurence Haguenauer, se dit désormais «préoccupée» par la situation et a déjà interpellé à quelques reprises l'État québécois pour que l'on règle le problème, sans succès.

Un accord, plusieurs interprétations

En février 2014, l'actuel chef du Parti québécois Jean-François Lisée - qui était alors ministre des Relations internationales sous le gouvernement de Pauline Marois - a signé avec Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée chargée des Français à l'étranger, un accord pour les infirmières dans le cadre de l'arrangement de reconnaissance mutuelle (ARM) des qualifications professionnelles.

Cet accord prévoyait qu'en date du 20 mars 2014, le diplôme d'État d'infirmier délivré par la France était reconnu au même niveau que le baccalauréat québécois. Dans les hôpitaux du Québec, cela signifiait que les infirmières françaises embauchées avant l'entrée en vigueur de l'accord, alors payées en fonction de l'échelle salariale des infirmières ayant un diplôme d'études collégiales, changeaient de régime de rémunération pour être payées comme des infirmières cliniciennes.

«Les infirmières françaises installées au Québec et leurs collègues encore en France souhaitant s'y installer vont pouvoir exercer plus facilement dans les services de santé de la province francophone grâce à la reconnaissance de leur diplôme et de leur expérience professionnelle», écrivait à l'époque l'Agence France-Presse.

Or, selon des données compilées par la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), près d'une vingtaine d'hôpitaux, dont le Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM), ont refusé de reconnaître l'expérience professionnelle de celles qui travaillaient pour eux avant l'entrée en vigueur de l'accord, alors qu'ils l'ont fait pour les infirmières embauchées après le 20 mars 2014 afin d'établir leur échelon salarial d'entrée.

«Désespérées»

Au CHUM, les infirmières françaises touchées par cette disparité de traitement commencent à être « désespérées » devant la lenteur à laquelle le dossier évolue, affirme Guy Brochu, président du syndicat des infirmiers.

«Le CHUM recrute en France, et les infirmières qui arrivent aujourd'hui au Québec sont payées honnêtement et correctement. Mais pour les anciennes, celles qui sont venues travailler ici avec plaisir [avant l'accord], qui sont venues pour y faire leur vie, nous demandons qu'on les respecte. Nous ne demandons pas l'aumône! Nous voulons seulement que leur expérience soit reconnue à leur juste valeur», affirme-t-on au Regroupement des infirmières françaises du CHUM.

«Il y a une iniquité entre, par exemple, deux infirmières françaises ayant le même profil d'expérience, avec une date d'emploi différente», affirme Joëlle Lachapelle, conseillère à la direction des communications du CHUM.

Mme Lachapelle affirme cependant que le budget de l'hôpital ne permet pas de corriger le tir.

«Nous mettons en application les règles gouvernementales. Si le CHUM allait à l'encontre des directives ministérielles, la reconnaissance rétroactive [entre mars 2014 et aujourd'hui] de leur expérience [pour fixer leur salaire] représenterait un montant de 2,3 millions. Si on devait le rembourser, il faudrait couper dans les services aux patients», affirme-t-elle, précisant que plus d'une centaine d'infirmières françaises sont touchées par cet enjeu chez eux.

Barrette dit aux hôpitaux de corriger le tir

À Québec, le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, réfute l'explication évoquée par le CHUM. «Ce n'est pas l'État qui a fait ces choix-là. Ce sont des choix pris localement. Des directions d'hôpitaux ont fait les ajustements [de salaire] immédiatement et d'autres ne l'ont pas fait. [...] Ceux qui ont accumulé une dette voudraient qu'on l'efface? C'est un peu particulier», estime M. Barrette, qui demande aux hôpitaux de corriger le tir.

Au Parti québécois, la porte-parole de l'opposition officielle en matière de santé, Diane Lamarre, estime que le gouvernement doit rapidement aider les hôpitaux à régler la situation et à dédommager les infirmières, tout en rétablissant leur salaire à l'échelon qui leur revient.

«Il y a une situation urgente qui est entre les mains du gouvernement, qu'on refuse de régler et qui s'enlise. Les dommages s'amplifient et ça devient une crise diplomatique», affirme la députée de Taillon.

«Ces infirmières sont venues au Québec de bonne foi, ont donné de leurs compétences dans un contexte où on avait besoin d'elles, et elles sont obligées de livrer un combat depuis plus de deux ans pour qu'on reconnaisse ce que d'autres ont spontanément reconnu», déplore- t-elle, affirmant qu'elle est même intervenue auprès du président-directeur général du CHUM, le Dr Fabrice Brunet, en vain.