Affirmant être prise à la gorge financièrement à cause des mesures imposées par Québec au cours des derniers mois, une pharmacienne de l'Estrie a vendu sa maison pour pouvoir continuer d'exploiter son commerce. Selon elle, si le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, persiste à ne lever le plafond des allocations professionnelles des pharmaciens que dans neuf mois, comme annoncé mercredi dernier, elle devra carrément fermer son commerce qui emploie plus d'une cinquantaine de personnes.

« Je ne tiendrai pas neuf mois de plus », souffle Annie (prénom fictif), pharmacienne qui préfère conserver l'anonymat pour ne pas identifier sa pharmacie, déjà en situation financière précaire. Au cours des derniers mois, Annie dit avoir perdu 32 % de ses revenus à cause des ponctions réalisées par Québec.

« J'ai réorganisé mes services. J'ai diminué de 10 % mes heures d'ouverture. Diminué mon nombre d'employés. Ceux qui restent ont accepté de couper leurs heures de travail, passant d'une semaine de 35 à 20 heures à peine », raconte la pharmacienne.

Comblant elle-même les absences, Annie dit travailler plus de 70 heures par semaine. « Je suis fatiguée. Mais je ne veux pas laisser tomber mes clients, mes employés, mon commerce », dit-elle.

CHANGEMENT À L'ENTENTE

En juin 2015, les pharmaciens propriétaires ont signé une entente avec Québec dans laquelle ils consentaient à des ponctions de 400 millions sur trois ans. En échange, le gouvernement s'engageait à lever le plafond de leurs allocations professionnelles pour trois ans.

Aussi appelées ristournes, les allocations professionnelles sont des sommes versées par les sociétés de médicaments génériques aux pharmaciens en fonction des volumes d'achats. Depuis des années, le plafond de ces ristournes, qui doivent être reversées dans la pharmacie, était de 15 % au Québec.

La semaine dernière, le gouvernement a annoncé que, contrairement à ce qui est conclu dans l'entente, le plafond des allocations professionnelles serait fixé à 25 % pour six mois à partir du 28 avril et à 30 % pour les trois mois suivants. Le plafond sera ensuite levé pour deux ans et trois mois.

Le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, justifie sa décision en disant que « l'environnement a changé » au cours des derniers mois, notamment avec l'arrivée du projet de loi 81 qui ouvre la porte à des achats groupés de médicaments. Le ministre soutient qu'avec un plafond d'allocations à 23 %, les pharmaciens ont dit être capables d'absorber l'impact des ponctions. « C'est faux. Avec 23 %, je n'arrive pas », dit Annie.

COUPES D'HEURES

La pharmacienne est particulièrement touchée par les coupes, car la quasi-totalité de sa clientèle est assurée par la Régie de l'assurance maladie du Québec et reçoit sa médication sous forme de pilulier. « Les ponctions sont plus importantes pour les médicaments offerts par pilulier. Je perds 1,18 $ par médicament sur un total d'honoraires d'environ 3 $ », note la pharmacienne.

Depuis septembre, Annie estime avoir versé plus de 200 000 $ en ponctions. Elle comptait sur le déplafonnement promis par Québec pour alléger son fardeau. « Mais la décision de cette semaine change tout », dit-elle.

Annie affirme que le ministre ne réalise pas que des pharmaciens peuvent être en situation financière précaire. Le président de l'Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP), Jean Thiffault, affirme que plusieurs pharmaciens propriétaires l'ont joint au cours des derniers jours pour lui témoigner leur détresse.

À bout de souffle, Annie espère qu'une solution viable pour tous sera trouvée rapidement. Car elle ne peut se résigner à vendre sa pharmacie. « De toute façon, dans les conditions actuelles, personne n'en voudrait », dit-elle.

Au cabinet du ministre Barrette, on rappelle qu'à deux reprises au cours des derniers mois, des mesures d'atténuation ont été adoptées pour adoucir l'impact des ponctions chez les pharmaciens.

Les membres de l'AQPP se réuniront le 20 avril en assemblée extraordinaire. « Les pharmaciens sont outrés. D'autres sont en détresse. La situation doit changer », martèle M. Thiffault.