Un certain nombre des 25 000 réfugiés syriens qui viendront refaire leur vie au Canada au cours des prochaines semaines arriveront hypothéqués par des problèmes de santé mentale. Pour améliorer leurs perspectives d'avenir, le chercheur de Toronto a mis sur pied depuis quelques mois un projet-pilote pour détecter et traiter les troubles de stress post-traumatique (TSPT) chez les enfants qui ont dû fuir leur pays.

Sommité de la santé mentale des réfugiés

Ce projet-pilote a été mis en place par l'une des sommités canadiennes sur la santé mentale des immigrants et des réfugiés. Chercheur à l'hôpital St. Michael's de Toronto et professeur de psychologie à l'Université Ryerson, le Dr Morton Beiser mène des études sur ce sujet depuis un demi-siècle. Il s'est penché sur la majorité des vagues de réfugiés qui ont atterri au Canada ; il a notamment suivi pendant 10 ans la santé mentale de 1000 réfugiés indochinois, connus il y a 35 ans comme les « boat people ». S'il reconnaît que tous les psychologues ne s'entendent pas sur l'utilité de traiter les TSPT, le chercheur affirme que ses travaux l'ont convaincu de l'importance d'aider les réfugiés aux prises avec des démons intérieurs.

Enfants ciblés

Disposant de ressources limitées, le Dr Beiser a choisi de réserver pour le moment son projet-pilote à 300 enfants réfugiés. S'il a décidé de cibler ce groupe, c'est en raison de son taux plus élevé de TSPT que les adultes. Diverses études montrent en effet que de 15 à 20 % des jeunes réfugiés peuvent en souffrir. Dans certains cas extrêmes, ce taux peut même atteindre un sur deux. Les enfants chez qui l'équipe du Dr Beiser détecte un TSPT ont droit à une thérapie de 8 à 10 séances d'une heure. Ils seront ensuite suivis pendant un an pour évaluer les résultats de leur traitement. Le Dr Beiser n'a pas la prétention de les guérir complètement. Il croit toutefois que cette thérapie les aidera à mieux vivre avec les événements traumatisants qu'ils ont vécus.

Comment détecter les TSPT?

Le Dr Beiser insiste : la majorité des réfugiés arrivent avec une bonne santé mentale. Pour détecter la minorité aux prises avec un TSPT, le chercheur utilise un formulaire conçu par l'Université de Californie. Les réfugiés sont invités à répondre à diverses questions pour déterminer s'ils présentent les principaux symptômes fréquemment associés à ce trouble. Vivent-ils des retours en arrière (flashbacks) ? Ont-ils de la difficulté à connecter avec les autres ? Sursautent-ils fréquemment pour un rien ?

Traitement allemand

Les jeunes réfugiés chez qui un TSPT est détecté suivent un traitement appelé « thérapie de l'exposition narrative ». En somme, il s'agit d'encourager les participants à parler en détail des événements traumatisants qu'ils cherchent souvent à taire. Cette technique a été élaborée par des chercheurs de l'Université de Constance, en Allemagne, qui travaillent depuis plus de 20 ans dans des camps de réfugiés en Afrique et en Asie du Sud-Est. « Ce traitement s'est avéré remarquablement efficace dans ces conditions », dit le Dr Beiser. L'un des buts du projet-pilote de Toronto est maintenant de déterminer s'il fonctionne aussi bien une fois les réfugiés arrivés dans un pays riche comme le Canada.

La science derrière ce traitement

Ce traitement est basé sur le fonctionnement de la mémoire, résume le Dr Beiser. « Quand on inscrit des souvenirs dans notre mémoire, il y a deux dimensions. La première est la réponse physiologique qu'on a eue, comme le coeur qui débat. C'est ce qu'on appelle la mémoire chaude. La mémoire cognitive, dite froide, sert pour sa part à mettre du contexte. Ainsi, les gens comprennent que ces souvenirs appartiennent au passé parce que la mémoire froide enveloppe la chaude. Le problème des personnes avec un TSPT est que, étonnamment, ils n'ont pas un souvenir complet des événements traumatisants. Lors de ceux-ci, il y avait tellement d'anxiété, de stress, que les gens n'ont pas eu le temps de se forger une mémoire froide. »

Revivre les traumatismes

Ces souvenirs fragmentaires font en sorte que « lors de leurs retours en arrière, les gens atteints d'un TSPT ne font pas seulement se remémorer les événements traumatisants, ils les revivent comme s'ils y étaient encore », explique le Dr Beiser. L'idée derrière ce traitement consiste donc à permettre aux participants de revenir sur ces souvenirs pour qu'ils arrivent à asseoir leur mémoire froide. « Si tu permets à quelqu'un de revenir sur un événement traumatisant dans un environnement sécuritaire, ça réduit l'intensité de la réaction », résume le chercheur.

Des fleurs et des roches

Les thérapeutes formés par l'équipe du Dr Beiser utilisent une corde afin d'illustrer la ligne de vie des réfugiés. Les participants doivent placer le long de celle-ci des fleurs pour marquer les moments heureux de leur vie et des roches pour les événements traumatisants. Lors de chaque séance, les réfugiés sont ensuite invités à prendre une roche dans l'ordre chronologique afin de revenir sur ces événements. Les thérapeutes s'appliquent alors à les questionner sur les détails de ceux-ci. Où cela s'est-il produit ? Quelle était la température ? Y avait-il des odeurs particulières ? En insistant autant sur les détails, l'idée est de construire la mémoire froide associée à ces souvenirs afin de bien camper ces événements dans le passé. Du coup, on veut réduire les symptômes associés à ceux-ci.

Clore un chapitre douloureux

Depuis le début du projet, le chercheur a constaté que les participants peuvent ajouter en cours de route des roches à leur ligne de vie. Souvent, ces pierres sont les plus lourdes, puisqu'elles représentent des événements que les réfugiés tentaient à tout prix d'oublier, mais qui finissaient par faire surface. « Récemment, une femme a dit avoir oublié de mettre une roche pour marquer le fait qu'elle avait été kidnappée et gardée captive pendant plusieurs mois dans la jungle. Ça lui est seulement revenu en cours de thérapie. Consciemment ou inconsciemment, elle travaillait fort pour ne pas s'en souvenir », dit le Dr Beiser. Tout au long du traitement, le thérapeute prend des notes, qu'il remettra à la fin au participant sous forme de livre. Le Dr Beiser croit que ce geste hautement symbolique sert en quelque sorte à clore un chapitre difficile dans la vie du réfugié.

Traitement à bas coût

Pour réduire au minimum les coûts de son projet-pilote, qui bénéficie d'un financement de 400 000 $, le Dr Beiser a misé sur des étudiants, principalement en médecine, qui ont accepté d'offrir bénévolement les séances de thérapie. Soixante ont reçu une formation de deux fins de semaine et une vingtaine d'autres seront formés au début de 2016. Les thérapeutes ainsi formés travaillent dans une quinzaine de centres fréquentés par les réfugiés, comme les cliniques médicales désignées pour les desservir. Étant donné ses ressources limitées, le projet-pilote est restreint à Toronto, même si le Dr Beiser affirme avoir reçu des demandes de partout au pays.

Photo fournie par l’Université Ryerson

Le Dr Morton Beiser, chercheur à l’hôpital St. Michael’s de Toronto et professeur de psychologie à l’Université Ryerson