Un rapport d'enquête du Protecteur du citoyen soulève de sérieux doutes sur le travail des employés d'un centre de santé et de services sociaux de la Montérégie. Une enfant s'est en effet retrouvée dans un état neurovégétatif permanent à cause de violence parentale, même si la famille de Saint-Hyacinthe était suivie depuis près de deux ans au moment de la tragédie. Malgré de nombreux signes de maltraitance, personne n'a sonné l'alarme.

L'histoire de l'enfant, âgée de 18 mois au moment du drame, a secoué le Québec l'an dernier. Le 2 janvier, le père a enroulé la fillette dans une douillette pour qu'elle arrête de pleurer. Le bébé, incapable de respirer normalement, a été abandonné ainsi toute la nuit sur le plancher du salon.

Lorsque les parents, âgés de 18 et 26 ans, se sont réveillés, ils ont remarqué que la petite respirait très difficilement. Elle était molle et avait la bouche de travers. Plutôt que de lui porter secours, ils ont décidé d'aller déjeuner au restaurant, avant de finalement l'amener au centre hospitalier de Saint-Hyacinthe. Elle a ensuite été transférée à l'hôpital Sainte-Justine, où elle a passé plusieurs mois.

Rougeurs et ecchymoses

Un an et demi plus tard, au moment où le procès du couple est imminent, un rapport que La Presse a obtenu jette une lumière particulièrement inquiétante sur le cas. Au moment du drame, la mère, enceinte de sept mois, recevait de fréquentes visites d'une auxiliaire familiale et d'une infirmière du centre de santé et de services sociaux (CSSS) Richelieu-Yamaska. L'auxiliaire et l'infirmière ont souvent remarqué que quelque chose n'allait pas, mais ni l'une ni l'autre ne l'a signalé.

Pourtant, les notes qu'elles ont prises à l'époque font plusieurs fois état de rougeurs et d'ecchymoses sur le corps de la petite victime. L'auxiliaire familiale avait notamment observé que la fillette avait la peau des fesses si irritée qu'elle saignait près de l'anus. Puis, une autre fois, elle a remarqué que le cartilage de son oreille droite était violacé. La mère lui avait alors expliqué que le père avait mordu le bébé «pour jouer».

Quant à l'infirmière, elle avait noté de sérieux problèmes d'insalubrité dans le domicile familial. Elle s'inquiétait aussi du fait que la jeune mère ne prenait pas les rendez-vous de suivi chez le médecin pour sa fille, ou ne s'y rendait tout simplement pas. Elle croyait également que le bébé, qui ne prenait pas de poids, était mal nourri.

Malgré tout, le CSSS n'a pas signalé la famille «parce que le lien avec les parents était bon». Son équipe a même contribué à convaincre la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) de ne pas retenir un signalement reçu en 2010, plusieurs mois avant le drame. Selon le rapport, les intervenants du CSSS ont assuré à la DPJ que les parents «collaboraient et fournissaient les soins requis aux enfants».

«Lorsque nous recevons un signalement, nous tenons toujours compte des ressources du milieu, qui sont considérées comme un élément de protection. Lorsque la famille est encadrée par des professionnels de CSSS, par exemple, explique Chantale Huot, porte-parole de la DPJ. Si un organisme nous dit que tout va bien, il se peut qu'on décide de rester en retrait. Il arrive aussi qu'on retienne le signalement quand même.»

C'est ce qui est arrivé en décembre 2010, un mois avant que la petite ne soit transportée à l'hôpital dans un état neurovégétatif. La DPJ avait reçu un nouveau signalement d'un proche de la famille. On en faisait l'évaluation lorsque la petite a été asphyxiée. Il était trop tard.

Recommandations

Après une longue étude du cas, le Protecteur du citoyen est cinglant à l'endroit du CSSS. Il exprime de sérieux doutes quant à la compétence du personnel pour départager les situations à haut risque de celles qui ne le sont pas. «Les services offerts à la famille ne prenaient pas en compte le risque élevé pour la sécurité et le développement des nourrissons et des tout-petits», affirme le rapport, qui fait une longue série de recommandations. On y suggère notamment de revoir l'encadrement des intervenants en petite enfance et de leur offrir une formation adéquate pour leur permettre de reconnaître les risques auxquels sont exposés les jeunes enfants.

Au CSSS, on assure avoir adhéré à toutes les recommandations. «Elles sont en place à 98%», indique Véronique Dumont, conseillère en communication. Elle ajoute que son organisme a agi très vite dans la foulée de la tragédie. «C'est une situation très regrettable. On n'a pas attendu pour faire des corrections.»