Deux médecins viennent d'échouer à faire condamner le Collège des médecins pour les pertes qu'ils ont subies parce que des collègues ont déserté leur clinique pour s'installer dans des locaux fournis au rabais par des pharmaciens.

La mission première du Collège des médecins est la protection du public, et non celle des médecins, a tranché la juge de la Cour supérieure Micheline Perrault cette semaine. La juge estime qu'aucune preuve ne démontre que le public est menacé par le fait que des médecins acceptent des loyers de faveur des pharmaciens. Elle reconnaît néanmoins que les pharmaciens compensent ces loyers moins lucratifs par les revenus de la vente de médicaments.

Propriétaires chacun d'une clinique, le Dr Daniel Poulin (Clinique Monchamp, à Saint-Constant) et le Dr Robert Perron (Clinique Chomedey) ont vu leurs établissements se vider de leurs professionnels au tournant des années 2000. Les médecins allaient s'établir dans des locaux fournis à bon marché par les Pharmacies Jean Coutu. Estimant que cette pratique relevait clairement du conflit d'intérêts et constituait une entorse au Code de déontologie des médecins, les Drs Poulin et Perron ont alerté le Collège des médecins, lequel, selon eux, s'est montré peu intéressé. En désespoir de cause, en 2004, ils ont intenté cette poursuite, dans laquelle ils réclamaient 3,5 millions de dollars en dommages en tout. Ils soutenaient que, par son inaction, le Collège des médecins avait permis que des médecins reçoivent des avantages illégaux de la part de pharmaciens ou de chaînes de pharmacies.

Nouveau Code

Le procès, qui a eu lieu à l'automne, a duré 21 jours. Dans sa décision, la juge relève que les loyers de faveur ne semblaient pas problématiques à l'époque de l'adoption du nouveau Code de déontologie, en 2002, puisqu'ils n'ont pas fait l'objet de réflexion, malgré le fait que les 18 000 membres avaient été invités à réfléchir sur l'indépendance professionnelle. Le nouveau Code contient des dispositions sur les conflits d'intérêts et l'indépendance professionnelle, mais elles sont rédigées «de façon large, pour permettre l'adaptation à l'évolution des situations», a expliqué lors du procès le Dr François Gauthier, directeur des enquêtes du Collège. «La preuve démontre clairement que le Collège agit par l'éducation et l'information», note la juge.

Le Collège s'assure de limiter les conflits d'intérêts en exigeant que les médecins conservent l'indépendance professionnelle essentielle à leur pratique, lit-on dans la décision.

L'indépendance professionnelle se définit par trois critères: pas de dirigisme (le patient achète ses médicaments à la pharmacie de son choix), pas d'ordonnances intempestives (l'ordonnance doit être justifiée par la maladie) et pas d'ingérence dans l'organisation du travail des médecins. En 2006, sur les recommandations de l'Office des professions, le Collège a néanmoins établi de nouvelles règles pour les baux. Ceux-ci doivent être écrits, il doit y avoir une mention selon laquelle ils sont conformes au Code de déontologie des médecins, et la notion de cadeaux modestes est introduite.

La juge signale par ailleurs que le Collège des médecins ne peut faire enquête sur du «ouï-dire.» Chaque fois que les Drs Poulin et Perron ont fourni de l'information précise, le Collège a fait enquête, dit-elle. Enfin, elle croit que les deux médecins sont responsables de leurs pertes. Le Dr Perron n'a rien fait pour retenir les médecins qui quittaient sa clinique. En fait, ce dernier jugeait qu'il ne pouvait rivaliser avec l'offre de la chaîne de pharmacies. Du côté du Dr Poulin, la juge estime que sa crédibilité peut être mise en doute puisqu'il a lui-même négocié avec le Groupe Jean Coutu entre 2000 et 2004 en vue du déménagement de sa clinique.

«C'était ça, le marché. Il a mis fin aux négociations et il a refusé», a dit Me Philippe H. Trudel, qui représente les deux médecins. Ses clients sont évidemment déçus de la décision, et ils ont déjà décidé d'interjeter appel. Me Trudel est d'avis que «le système du droit professionnel est complètement chambardé avec l'acceptation de loyers au rabais».