Longtemps un fleuron du Québec, l'industrie pharmaceutique vit des moments difficiles, aggravés par la crise économique. Au point où plusieurs petites entreprises de biotechnologies, véritable pipeline des grandes pharmaceutiques, sont en danger.

Jusqu'à tout récemment, le Québec - et Montréal en particulier - était le centre le plus important au Canada dans le domaine de la recherche sur les médicaments innovateurs. Un titre que la province risque de perdre, craignent certains.

 

«La compétition est féroce partout dans le monde et ailleurs au Canada, notamment en Ontario et en Colombie-Britannique. Montréal court le risque de se faire rattraper si on ne prend pas les bonnes décisions», analyse Michel Bouvier, professeur de biochimie à l'Université de Montréal et chercheur à l'Institut de recherche en immunologie et cancérologie (IRIC).

L'industrie pharmaceutique est très présente au Québec. On recense pas moins de 145 entreprises, allant des grandes compagnies pharmaceutiques aux petites entreprises de biotechnologies, ce qui crée environ 20 900 emplois.

Mais il s'agit d'un domaine risqué. Pour un seul médicament qui se retrouve sur les tablettes des pharmacies, des centaines d'essais s'avèrent infructueux. D'autres ne se rendent jamais jusqu'à la mise en marché parce que la molécule s'avère moins efficace que prévu ou parce que les effets toxicologiques sont trop importants.

Il faut compter en moyenne 14 ans entre la découverte d'une molécule et le moment où le produit est commercialisé. Le coût de la mise au point d'un seul médicament: environ 800 millions US.

«Il est très difficile de créer de nouveaux médicaments. Les plus faciles à découvrir - même s'il n'y a rien de facile dans ce domaine - ont été découverts. C'est de plus en plus difficile d'arriver avec de nouvelles molécules, surtout pour les maladies qui ne sont pas encore traitées ou pour lesquelles on n'a pas encore le bon médicament», ajoute M. Bouvier, qui est aussi directeur du Groupe universitaire de recherche sur le médicament (GRUM) à l'Université de Montréal.

L'industrie pharmaceutique est en pleine mutation. De nombreux brevets arrivent à échéance, ce qui représente des pertes de milliards de dollars pour les grandes compagnies pharmaceutiques. Les médicaments innovateurs devront en effet partager le marché avec des médicaments génériques, donc moins coûteux.

Relais

De plus en plus, les grands du secteur pharmaceutique délaissent la recherche à un stade précoce. Ce sont les entreprises de biotechnologies qui prennent le relais. Une découverte importante en recherche fondamentale mène souvent le chercheur à créer une entreprise ou un entrepreneur à en acquérir les droits, ce qui donne naissance à une compagnie de biotechnologies.

Cette entreprise se chargera de faire progresser la découverte jusqu'aux essais précliniques sur les animaux, puis de la validation du concept et des premières études cliniques sur les humains. Le Québec compte une soixantaine d'entreprises biotechnologiques dans le domaine de la santé, qui comptent de 15 à 20 employés en moyenne.

Dans bien des cas, lorsque le produit est arrivé aux phases II ou III des essais cliniques, les grandes entreprises pharmaceutiques rachètent la compagnie ou acquièrent des droits sur les licences.

«Les industries pharmaceutiques utilisent les biotechnologies comme leur pipeline. Elles les achètent à un stade beaucoup plus avancé, ce qui leur coûte beaucoup plus cher, mais elles savent exactement ce qu'elles acquièrent», explique Élie Farah, vice-président, investissements Grand Montréal, chez Montréal International.

Mais voilà, la crise économique rend les choses difficiles pour les petites entreprises. Elles ont du mal à trouver le financement nécessaire pour poursuivre leurs recherches.

Un sondage mené à la fin de 2008 par BIOQuébec révélait que 70% des entreprises de biotechnologies n'avaient pas de capitaux disponibles pour survivre plus d'un an. Le tiers pouvait tenir six mois et le quart d'entre elles, à peine trois mois.

Quelques mois plus tard, qu'en est-il? La prochaine enquête sera menée en juillet. «On n'aura pas beaucoup de compagnies qui vont avoir fermé, mais beaucoup se seront mises en état d'hibernation. Elles vont avoir congédié des employés pour en garder le strict minimum de façon à assurer un minimum de développement et à chercher du financement», croit Frank Béraud, directeur aux politiques et développement stratégique de BIOQuébec.

Les entreprises de biotechnologies appellent à l'aide. Des mesures ont été prévues dans le dernier budget du gouvernement provincial, mais il s'agit de mesures à moyen terme.

«Il faut mettre en place des mesures d'aide temporaires pour aider les entreprises existantes à passer à travers la crise», presse M. Béraud.

Le danger de perdre le savoir-faire ou des propriétés intellectuelles est réel. «L'effritement de la petite entreprise de biotechnologies entraîne l'assèchement du puits dans lequel la grande compagnie pharmaceutique s'abreuve», note la directrice générale de Montréal InVivo, Michelle Savoie. Cet organisme travaille justement à l'arrimage entre les compagnies de biotechnologies et les grandes entreprises pharmaceutiques.

Plusieurs pressent le gouvernement d'intervenir, mais la crise n'aura pas que du négatif, croit pour sa part le directeur de la santé et des biotechnologies au ministère du Développement économique, de l'Innovation et de l'Exportation, Roger Marchand.

«La crise économique permet également de faire disparaître ou de restructurer les entreprises de biotechnologies qui sont les plus faibles et de renforcer les autres», croit-il.

 

14 ans


Temps moyen entre la découverte d'une nouvelle molécule et la mise en marché d'un nouveau médicament.

800 millions

Coût moyen de la mise au point d'un médicament.

Moins de 10%

Chance qu'une technique ou un médicament se rende jusqu'à la mise en marché une fois que la première phase des études cliniques est franchie.

4 pour 1

Un emploi dans une entreprise de biotechnologies crée quatre emplois connexes.

11

Dans le domaine pharmaceutique, 11 des 12 plus grands employeurs au Québec sont des compagnies étrangères.

68%

Proportion des brevets canadiens pour les médicaments d'ordonnance que le Québec détient.

42%

Part du Québec dans les investissements canadiens en R&D pharmaceutique.

6000

Nombre de chercheurs et étudiants diplômés dans le milieu académique.

Le portrait de l'industrie pharmaceutique

Grandes compagnies pharmaceutiques (Merck, AstraZeneca, Pfizer, etc.):

28 entreprises et 9200 employés

Fabrication de génériques (PharmaScience, etc.): 21 entreprises et 4800 employés

Secteur des biotechnologies: 67 entreprises et 2300 employés

Recherche contractuelle (Anapharm, etc.): 29 entreprises et 4600 employés

Secteurs de pointe de la recherche en santé au Québec

Oncologie, immunologie, recherche cardiovasculaire, neurologie, génomique, vaccin et imagerie médicale

Sources: Ministère du Développement économique, de l'Innovation et de l'Exportation, Consortium québécois sur la découverte du médicament, BioQuébec, Montréal International, Montréal InVivo

 

La mise au point d'une molécule


1- Recherche fondamentale.

2- Études précliniques sur des animaux.

3- Autorisation de Santé Canada ou de la Food and Drug Administration pour entreprendre les études cliniques.

4- Première phase des études cliniques sur des volontaires sains.

5- Deuxième phase des études cliniques auprès de malades pour évaluer l'efficacité de la molécule.

6- Troisième phase des études cliniques sur des patients à très grande échelle.

7- Approbation réglementaire et commercialisation.