Quand Monique Lauzeau-Parent, 97 ans, a compris qu’elle devrait quitter la résidence Notre-Dame-de-la-Victoire, où elle vivait depuis plusieurs années, « elle a eu un choc », relate son fils Daniel Parent.

« On était en plein dans nos vacances, au mois d’août. On reçoit un appel pour nous dire que la résidence ferme. On nous dit avec insistance qu’il faut partir le plus rapidement possible. Il n’était pas question de respecter le bail ! » Mme Lauzeau-Parent avait en effet un bail qui courait jusqu’au mois de mars suivant.

Elle est finalement partie le 22 octobre pour la résidence L’Émérite, à Brossard. Elle y est bien, témoigne son fils, quoique encore désorientée. La famille doit payer du personnel pour guider Mme Lauzeau-Parent de son logement à la salle à manger, alors qu’elle se débrouillait très bien toute seule dans son ancien lieu de vie.

Détail non négligeable : Mme Lauzeau-Parent paie 1000 $ de plus par mois pour son nouveau logement.

Les aînés qui ont un faible revenu, je ne sais vraiment pas où ils sont allés, parce qu’ailleurs, c’est sûr que c’était plus cher, et il n’y avait pas nécessairement de place.

Daniel Parent

La résidence privée pour aînés (RPA) Notre-Dame-de-la-Victoire a depuis été convertie en maison de chambres. Nous avons tenté à plusieurs reprises de joindre la résidence afin de recueillir son point de vue, mais personne ne nous a rappelées.

Du locatif plus payant

F. D. a vécu le même drame. Elle nous a demandé de ne pas révéler son identité afin de préserver son intimité. Cette femme de 88 ans vivait depuis 13 ans dans une résidence avantageusement située de la ville de Québec, au cœur d’un secteur central.

« Je pensais que je finirais mes jours-là ! », s’exclame-t-elle. Mais en mars, le propriétaire a réuni les locataires pour leur signifier que la résidence changeait de vocation et serait convertie en immeuble locatif. Les locataires avaient jusqu’au 30 décembre pour se trouver un nouveau logement.

« Disons que ça aurait pris des psychologues dans la salle. Moi, j’ai pleuré pendant une semaine… Les propriétaires ne savaient pas quoi faire. Ils ont vu que c’était une pilule très dure à avaler. »

Le sentiment que j’avais, c’est que je perdais mon chez-moi.

F. D.

Le taux d’occupation, ont fait valoir les propriétaires lors de la réunion, n’était plus que de 56 %. « Ils nous ont dit qu’ils ne faisaient pas du bénévolat. Et il y a aussi les taux hypothécaires qui ont augmenté. Bref, ils fonctionnaient à perte. Ils ont dit qu’ils allaient faire du locatif, des appartements. Ils vont pouvoir louer très cher parce que c’est en plein cœur d’un quartier prisé. »

F. D. vit désormais dans une autre résidence, de taille beaucoup plus grande, et plus impersonnelle. « Je suis comme à l’hôtel. » Elle paie 200 $ de plus par mois.

« Ma mère était en panique »

En mai dernier, quand Françoise Perrault, 94 ans, a reçu une lettre lui apprenant que la Villa Majeau changeait de vocation, elle a tout de suite appelé sa fille, Lucie Ratelle. La missive précisait qu’elle avait jusqu’au mois de septembre pour partir sans pénalité, après quoi on lui facturerait deux mois de loyer.

« Ma mère était sous le choc, en panique. Elle m’a appelée tout de suite. Nous, on pensait qu’elle était là pour toujours ! Au début, elle ne voulait pas partir, mais on lui a fait comprendre que ça ne fonctionnerait pas », explique Mme Ratelle. En effet, les repas ne seraient désormais plus fournis : or, Mme Perreault n’avait plus depuis longtemps de cuisine équipée qui lui aurait permis de se préparer des repas. Même avec une cuisinière et des casseroles neuves, elle n’avait tout simplement plus l’énergie pour cuisiner.

Au cours de cette transition extrêmement stressante, les résidants ont eu très peu de détails sur la suite des choses et « l’aide au relogement » qu’on leur promettait était bien vague, dénonce Lucie Ratelle. Cette dernière a pris les choses en main et trouvé une nouvelle résidence pour sa mère.

La majorité des locataires de la Villa Majeau sont restés sur place après la reconversion, plaide le propriétaire Benoît Majeau, puisque la résidence accueillait en majorité une clientèle autonome. « Dans l’ensemble, notre décision, qu’on a mûrie de longue date, a été bien accueillie par la clientèle. » La pandémie a été une période difficile pour les RPA, explique M. Majeau, et l’installation de gicleurs, devenus obligatoires après la tragédie de L’Isle-Verte, « a été un point important ».

« Oui, les propriétaires avaient le droit de faire ça, rétorque Lucie Ratelle. Mais disons que ça manquait de considération pour les locataires âgés. Ceux qui n’avaient pas d’enfant pour les aider là-dedans, je ne sais pas comment ils ont fait. À 94 ans, recevoir cette lettre-là et déménager… c’était quelque chose. »