(La Baie) Après avoir vu leurs voisins évacués par précaution, peut-être pour des mois, des riverains du périmètre établi autour du glissement de terrain de l’arrondissement de La Baie, à Saguenay, craignent de devoir aussi faire leurs boîtes.

« Moi, je dors mal », admet d’emblée Marie Raymond, résidante de la 7Avenue. À deux maisons de chez elle, une haute clôture sépare l’entrée de ses voisins.

D’un côté, la dame âgée et aveugle qui y résidait a été évacuée dans la soirée de samedi dernier, de l’autre, les résidants n’ont pas pris de risque et sont partis d’eux-mêmes. À deux coins de rue, la source de leurs inquiétudes : une immense coulée de terre, apparue peu à peu ces dernières semaines, où flottent un cabanon et une piscine hors terre.

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Marie Raymond, qui habite à la limite de la zone d’évacuation.

« On se demande pourquoi, à deux maisons d’ici, ils doivent partir, mais pas nous ? C’est la même butte, pourtant », poursuit Marie Raymond. « On nous a dit qu’ils en avaient évacué plus qu’il faut », lâche-t-elle, comme pour se rassurer.

En effet, 53 maisons ont été évacuées samedi soir dernier dans le secteur La Baie, au Saguenay–Lac-Saint-Jean. Ses quelque 200 résidants se sont fait dire qu’ils avaient jusqu’à 7 h le lendemain pour quitter les lieux, après quoi ils ne pourraient plus y mettre les pieds, raconte la sœur d’une des personnes évacuées, Louise De La Durantaye.

« À ce moment-là, il n’y avait pas de magasins ouverts, on n’avait pas de boîtes. On a eu le temps de sortir 75 % des choses dans la maison. Par chance, on avait six voitures et un trailer fermé, puisqu’elle venait de déménager son garçon », se souvient-elle.

Ces évacuations s’ajoutaient alors aux 21 décrétées la semaine dernière, à la suite de l’affaissement d’une maison entière déjà vidée de manière préventive en avril.

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Un muret de béton a été installé au pied de la colline où est survenu le glissement de terrain la semaine dernière.

Au Saguenay, tous ont en mémoire la tragédie survenue en 1971 dans le village voisin de Saint-Jean-Vianney, où 42 maisons et la vie de 31 personnes avaient été emportées par un glissement de terrain.

Revoir le périmètre

Lundi soir, au moment d’adopter une résolution au conseil municipal pour demander à Québec de prolonger l’état d’urgence à Saguenay, la mairesse Julie Dufour a justement fait référence aux apprentissages de ce triste drame.

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Julie Dufour, mairesse de Saguenay

« Ces 31 décès permettent aujourd’hui d’avoir sauvé 200 personnes. […] Elles sont en vie, on a conservé notre monde », a-t-elle déclaré. Mais un travail important reste à faire pour déterminer la suite des choses pour le secteur évacué.

La Ville de Saguenay espère être en mesure de rapetisser le périmètre pour permettre à certains sinistrés de retourner dans leurs maisons. « Mais je ne fais pas de promesse aujourd’hui », a prévenu le directeur du Service de sécurité incendie et coordonnateur des mesures d’urgence, Carol Girard.

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Carol Girard, directeur du Service de sécurité incendie et coordonnateur des mesures d’urgence

On pourrait agrandir [le périmètre] aussi, il faut en être conscient et le dire aux gens, il y a cette possibilité-là aussi.

Carol Girard

Toute la journée, lundi, des experts du ministère des Transports ont mené des analyses du sol, à l’aide du piézocône, un outil utilisé pour transmettre des résultats en direct, afin de tenter de comprendre la source du glissement de terrain.

En attendant, les autorités ont érigé deux impressionnantes buttes de sable à l’entrée du secteur, dans l’espoir de retenir une coulée potentielle.

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Une butte de sable a été érigée pour contenir un éventuel glissement de terrain.

Le travail doit toutefois se faire prudemment, par étape, alors que la possibilité d’un autre effondrement ne se calcule pas en « si », mais en « quand », selon la mairesse Julie Dufour.

Les fortes pluies des derniers temps, qui ont atteint près de trois fois la moyenne de saison, pourraient expliquer en partie le glissement de terrain survenu à La Baie, estime le titulaire de la Chaire de recherche du Canada en prévision et prévention des risques liés aux aléas hydrogéotechniques, Ali Saeidi.

La région du Saguenay–Lac-Saint-Jean présente à plusieurs endroits un « sol argileux, très particulier au Québec et aux pays scandinaves », qui est « extrêmement sensible », dit celui qui enseigne également à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC).

Mais « sans les données d’analyse, on ne pourra pas vraiment dire grand-chose si le sol est stable. Même avec ces données, c’est un phénomène très complexe et on ne pourra pas dire à 100 % » si d’autres glissements sont possibles, explique-t-il.

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Les experts du ministère des Transports cherchent toujours à comprendre la source du glissement de terrain.

Des compensations

Peu avant d’annoncer qu’il serait de passage à La Baie mercredi, le premier ministre du Québec, François Legault, a indiqué qu’il considérerait la possibilité de bonifier les compensations offertes aux sinistrés.

Pour le moment, l’indemnisation offerte aux citoyens par Québec dans le cadre de tels drames s’élève à environ 260 000 $, a-t-il détaillé lors d’un point de presse à Sherbrooke, en Estrie.

Selon la mairesse de Saguenay, Julie Dufour, cette compensation est loin d’être suffisante, tout comme les 20 $ donnés chaque jour aux sinistrés pour se loger et se nourrir, un « montant qui ne fait pas de sens ». Elle réclame pour les sinistrés le remboursement intégral de la valeur marchande de leurs maisons et l’ensemble de leurs factures pour se reloger.

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Un périmètre de sécurité a été installé autour des maisons évacuées.