(Asbestos) Mario Leblanc, un employé à la retraite d’une mine d’amiante, regardait une carte géante de sa ville datant de 1960 sur un mur de la Société d’histoire d’Asbestos, et déplorait à quel point sa collectivité s’était sacrifiée pour le bien de la mine Jeffrey.

Son école secondaire, l’église dans laquelle il s’est marié, la maison où il a passé son enfance ont toutes été avalées par des expansions successives de l’exploitation de l’amiante, qui continue de dominer le paysage et relègue à l’arrière-plan à peu près tout ce que la ville fait.

« Je ne peux pas partir avec mes enfants et dire, “voici, je suis allé à l’école, voici, je me suis marié là, voici la maison de ma jeunesse”, a-t-il résumé lors d’une récente entrevue accordée à La Presse canadienne. Ces lieux n’existent plus. »

M. Leblanc, qui est âgé de 68 ans, sait que sans la mine, la ville d’Asbestos n’aurait pas vu le jour. Toutefois, la municipalité de quelque 7000 résidants du sud-ouest du Québec a tourné la page et relégué l’industrie aux oubliettes après la fermeture de la mine en 2012. Maintenant, dit-il, il est temps d’effacer le nom « Asbestos » une fois pour toutes.

« Pour 99 % des gens, c’est le côté sentimental, même s’ils comprennent que ça peut être positif. Je suis venu au monde à Asbestos. Mon grand-père, mon père, on vient d’Asbestos. »

La meilleure décision

Bien que certaines personnes hésitent à rebaptiser la ville, le maire, les propriétaires de places d’affaires et de nombreux résidents avouent être fatigués d’attirer l’attention pour toutes les mauvaises raisons.

Le maire Hugues Grimard soutient que la mauvaise réputation internationale de ce minéral à texture fibreuse a semé la confusion au sujet de sa ville natale. Les étrangers pensent que les citoyens d’Asbestos sont malades, qu’ils vivent sous un nuage toxique.

« On est convaincu qu’on prend la meilleure décision pour l’avenir de notre population », a-t-il déclaré lors d’une récente entrevue.

Grâce à un fonds de 50 millions mis sur pied par le gouvernement du Québec en 2012, la ville s’est diversifiée et ne dépend plus de l’extraction de l’amiante.

« On est rendu à l’ère post-amiante, note M. Grimard. On est fier du passé, on est fier de ce que les gens ont fait chez nous, mais on veut regarder l’avenir et se détacher de l’ère de l’amiante. »

Fondée vers la fin du XIXe siècle autour de la mine Jeffrey, la ville a aidé à faire du Canada l’une des leaders mondiaux en exportation d’amiante. Pendant des siècles, l’amiante a été utilisé dans la fabrication de matériaux comme des dalles de plafond et de ciment, mais maintenant, elle est bannie dans de nombreux États à travers le monde.

L’Organisation mondiale de la santé affirme que l’inhalation de fibres d’amiante cause le cancer des poumons, le mésothéliome et d’autres maladies, et qu’elle a tué des dizaines de milliers de personnes partout dans le monde.

L’entreprise de lubrification industrielle de Frédéric Tremblay est située dans le grouillant parc industriel d’Asbestos. L’homme d’affaires mentionne que son entreprise a gagné en croissance depuis 2012, mais il a souvent l’impression que ses clients potentiels croient que ses produits comptent une grande quantité de fibres d’amiante. Ce n’est pas le cas.

Selon M. Tremblay, le mot « Asbestos » attire le regard au point de faire dévier les conversations.

Chaque fois qu’il doit aller aux États-Unis ou essaie de vendre ses produits à une multinationale, il doit parler pendant une demi-heure du nom de la ville, confie-t-il.

« Aux États-Unis, c’est fou, c’est vraiment fou. […] À un moment donné, j’ai fait rire de moi par des douaniers. »

« Asbestos » est aussi le nom désignant l’amiante en anglais.

M. Grimard a indiqué que son bureau avait demandé des suggestions pour un nouveau nom, et a reçu des centaines de réponses. Les gens avaient jusqu’à vendredi pour proposer un nouveau nom.

Un comité du conseil municipal révisera toutes les suggestions et en proposera de trois à cinq aux citoyens. Ces derniers, incluant des jeunes âgés de 14 ans, pourront voter.

« On veut inclure les jeunes, et tout jeune accompagné d’un parent, qui est capable de démontrer qu’il est résidant actuel à Asbestos va pouvoir voter », a précisé M. Grimard, qui souhaite identifier le nouveau nom de la ville d’ici le mois de mai.