« Je suis stressée, on est tous stressés », lance Kateryna Kotliar, 38 ans, qui vit à Montréal depuis bientôt deux ans avec sa mère et ses enfants, Mila, 7 ans, et Myroslav, 10 ans.

Ce stress s’explique du fait que si le gouvernement fédéral a ouvert les portes aux Ukrainiens en mars 2022, il est maintenant silencieux sur le sort qui les attend, leur statut, le renouvellement de leur visa, de leur permis de travail. Et, donc, sur leur avenir.

C’est Kateryna Kotliar qui a contacté La Presse pour témoigner de son inquiétude et de celle des siens. Nous l’avions rencontrée, en février 2023, lors du premier anniversaire de la guerre. « Il s’est passé beaucoup de choses depuis un an », explique-t-elle.

Le principal problème que vivent les Ukrainiens, selon Kateryna, c’est l’incertitude qui entoure le renouvellement des permis de travail au Canada.

« C’est le sujet le plus discuté dans les groupes Facebook », affirme-t-elle.

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Kateryna Kotliar

Tous les Ukrainiens que je connais – et même ceux que je ne connais pas personnellement – se demandent s’ils auront la possibilité de rester au Québec, pour y vivre de façon permanente, après l’expiration de leur permis de travail. Beaucoup n’ont pas d’endroit où retourner en Ukraine. Moi, par exemple.

Kateryna Kotliar, réfugiée ukrainienne

Ce permis de travail, d’une durée de trois ans, a été accordé à ceux qui en faisaient la demande, en vertu du programme de visa d’urgence temporaire lancé au début du conflit par le gouvernement canadien.

En octobre dernier, une « politique d’intérêt public » a été mise en place pour permettre aux réfugiés ukrainiens déjà au Canada de présenter une demande de résidence permanente. Mais il y a une condition : avoir de la famille au pays.

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Anaït Aleksanian, directrice générale du Centre d’appui aux communautés immigrantes (CACI)

Les autres ? « Pour le moment, on ne sait pas », indique Anaït Aleksanian, directrice générale du Centre d’appui aux communautés immigrantes (CACI), qui accueille et accompagne de nombreux Ukrainiens déplacés à Montréal. « Le gouvernement n’a pas encore annoncé de programme. Presque tout le monde est inquiet de savoir ce qui va arriver après. »

Les ressortissants qui n’ont pas de famille au Canada peuvent demander la résidence permanente en passant par un autre programme, mais ils doivent répondre à des critères : maîtriser le français, posséder des qualifications professionnelles, être diplômé d’un établissement francophone, etc.

Kateryna, par exemple, ne parle pas bien français. Le sort de sa mère de 66 ans est encore plus incertain.

« Nous n’avons pas d’endroit où aller en Ukraine. Notre ville est détruite », dit-elle.

« C’est ma famille »

Yuliia Melnyk, 40 ans, a plus de chance. Sa ville, Oboukhiv, à 40 km au sud de Kyiv, n’a pas été ravagée par les combats. Son mari la presse d’ailleurs de « rentrer » au pays, en lui disant que « ce n’est pas dangereux ».

« Les personnes qui vivent dans la guerre depuis deux ans se sont adaptées parce qu’elles ne peuvent faire autrement. Mon mari pense vraiment que ce n’est pas dangereux, même si la situation n’a pas beaucoup changé depuis le 22 février 2022 », explique-t-elle, dans la cuisine du petit appartement qu’elle occupe avec ses jumelles de 8 ans, Nadia et Oksana.

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Yuliia Melnyk

Qu’est-ce que je vais faire si je [retourne en Ukraine] et qu’une de mes filles meurt à cause des bombes ?

Yuliia Melnyk, qui a fui la guerre en Ukraine avec ses jumelles de 8 ans

Yuliia est arrivée à Montréal, en mars 2022, grâce à l’aide d’une Québécoise, Nathalie Bouchard, dont elle a fait la connaissance en Ukraine et qui est devenue son amie.

« Nathalie et ses amis, c’est ma famille, assure-t-elle. Je veux rester ici. Je trouve que le Canada est un pays plus juste que l’Ukraine. C’est plus sûr. Je préfère la relation avec les gens, il y a plus d’empathie. À l’école, par exemple, mes enfants apprennent des valeurs. En Ukraine, on apprend les mathématiques et d’autres matières, mais on n’apprend pas les valeurs. Je vois le résultat. »

Dans son pays, Yuliia Melnyk travaillait comme chargée de projets en technologies pour une entreprise de boîtes de carton. Nathalie Bouchard était employée d’une société de logiciels avec laquelle elle faisait affaire. C’est de cette façon qu’elles se sont connues.

« Quand la guerre a éclaté, Nathalie m’écrivait tous les jours pour me dire : “Viens chez moi” », relate Yuliia, en montrant, sur son téléphone, la vidéo qu’elle a réalisée sur son exil au Canada.

En arrière-plan, elle a enregistré Ne me quitte pas de Céline Dion et Les étoiles filantes des Cowboys Fringants. Deux chansons dont elle a lu et chanté les paroles des « millions » de fois pour apprendre le français, en plus de suivre des cours de francisation à temps plein, pendant un an.

Depuis septembre, Yuliia Melnyk travaille bénévolement pour un organisme d’aide aux nouveaux arrivants, tout en essayant, sans succès, de trouver un emploi dans son domaine.

Le fait que son permis de travail expire dans un an affecte ses perspectives d’embauche, croit-elle. Elle a été contactée récemment pour un poste dans ses cordes, mais les discussions ont pris fin quand l’agence a su que son permis expirait en avril 2025.

Une année de plus

Craint-elle vraiment qu’on lui demande de quitter le pays en 2025 ?

« Oui, répond Yuliia. Si j’étais dans une situation normale, je pourrais attendre, ce serait correct. Mais nous, les Ukrainiens, on a trop de stress. Tout est stressant. Je me couche en me demandant si demain je vais être capable de payer pour le logement et tout ça, et ce que je vais faire si je ne suis pas capable. »

Yuliia souhaite que son permis soit prolongé d’une année, le temps de trouver un emploi et de demander la résidence permanente.

Kateryna Kotliar, elle, estime avoir besoin de trois ans.

« En trois ans, je suis certaine que je vais avoir le temps d’apprendre le français, explique-t-elle. Parce qu’en ce moment, je n’y arrive pas. Je travaille, j’étudie, j’ai des enfants. C’est impossible. Je vais devenir folle. Je suis tellement fatiguée… »

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Anastasia Kurchenko dans son salon de coiffure

Anastasia Kurchenko, 31 ans, se demande aussi si elle pourra rester ici après l’expiration de son permis de travail. Elle est arrivée au Québec avec son mari en mai 2022. Le couple, de nouveaux époux, se trouvait à Budapest quand la Russie a attaqué l’Ukraine.

Après avoir travaillé comme coiffeuse, à Montréal, Anastasia a ouvert son propre salon, en mars 2023, sur le boulevard Décarie. « On veut rester ici, assure-t-elle. Mais le problème, c’est le français. C’est très difficile. C’est un big problem parce que je travaille, big, big travail, et que je suis fatiguée le soir. Je ne suis pas capable de me concentrer et je n’ai pas le temps d’étudier. C’est du stress, beaucoup de stress. »

En savoir plus
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    Nombre de cartes d’assurance maladie délivrées à des Ukrainiens
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    221 231
    Nombre de personnes arrivées au Canada en vertu de l’Autorisation de voyage d’urgence Canada-Ukraine
    Gouvernement du Canada