(Québec) Dans le contexte où l’immigration temporaire a explosé au Québec au cours des dernières années, le commissaire à la langue française, Benoît Dubreuil, recommande au gouvernement Legault d’ajouter des exigences linguistiques en français pour les travailleurs étrangers temporaires et les étudiants internationaux qui s’installent dans la province.

Dans un rapport déposé mercredi au Salon bleu, M. Dubreuil presse Québec de « présenter clairement les attentes de la société québécoise en matière linguistique à toute personne qui fait la demande d’un permis de travail ou d’un permis d’études ou qui dépose une demande d’asile ».

Concrètement, le commissaire à la langue française soutient que les titulaires d’un permis de travail du Programme des travailleurs étrangers temporaires, à l’exception du volet agricole, devraient prouver qu’ils ont une connaissance du français de niveau 3 à l’oral avant d’obtenir leur premier permis. Il s’agit d’un niveau débutant où la personne « comprend des propos brefs concernant des activités ou des services liés à la vie quotidienne », par exemple « comprendre des renseignements donnés par la caissière concernant le service de livraison dans un supermarché ».

Pour renouveler un permis de travail, M. Dubreuil suggère qu’un travailleur étranger temporaire démontre qu’il maîtrise à l’oral un niveau 5, c’est-à-dire d’avoir la capacité de comprendre « l’essentiel de conversations portant sur des sujets courants » ou de « comprendre l’essentiel de la description d’un poste à pourvoir dans l’entreprise où travaille un ami ».

Pour les étudiants étrangers, le commissaire à la langue française suggère de négocier avec le gouvernement fédéral pour limiter le travail hors campus aux personnes ayant prouvé qu’il maîtrise des connaissances en français oral au niveau 3, puis de délivrer des permis de travail post-diplômes qu’aux étudiants ayant atteint un niveau 7 à l’oral (« [comprendre] des propos concrets et parfois implicites formulés dans des constructions syntaxiques parfois complexes ») et un niveau 5 à l’écrit (« comprendre l’essentiel des informations contenues dans le bail de son futur logement »).

Rendre les données publiques

Par ailleurs, le commissaire Dubreuil suggère au gouvernement de développer, comme en santé, un « tableau de bord » public pour permettre aux citoyens « de suivre régulièrement l’évolution de la population non permanente au Québec et de ses caractéristiques, notamment linguistiques ».

Pour faciliter l’apprentissage du français auprès des immigrants temporaires, Québec devrait également mettre en œuvre des mécanismes afin que le recrutement à l’étranger se fasse auprès d’une main-d’œuvre principalement francophone, suggère-t-il. M. Dubreuil propose également que le gouvernement accorde une aide financière supplémentaire pour l’apprentissage du français à l’étranger.

Face à la montée du nombre de demandeurs d’asile, le commissaire ajoute sa voix pour exiger d’Ottawa une meilleure répartition de leur nombre à travers le pays. M. Dubreuil souhaite aussi que le gouvernement fédéral documente leur niveau de connaissance du français et de l’anglais dès leur arrivée sur le territoire canadien et québécois. À ses yeux, il revient aussi au gouvernement fédéral de mettre en place une « aide financière supplémentaire pour appuyer la formation linguistique des demandeurs d’asile ne parlant ni anglais ni français ».

État de la situation

Ce nouveau rapport du commissaire à la langue française, un poste qui a été créé en juin 2022 lors de l’adoption de la loi 96 sur la langue française, s’inscrit dans un sujet chaud ces derniers mois au parlement, l’immigration temporaire.

M. Dubreuil rappelle que leur nombre est passé de 86 065 personnes en 2016 à 528 034 personnes en 2023. Les raisons qui expliquent cette augmentation, dit-il, sont le « le resserrement du marché du travail et le recrutement d’une main-d’œuvre temporaire de plus en plus nombreuse dans quelques secteurs économiques, la création de passerelles facilitant le passage entre les études au Québec et la résidence permanente [et] l’augmentation des demandes d’asile en lien avec la situation mondiale, mais aussi avec les politiques fédérales de gestion des passages irréguliers à la frontière et d’attribution des visas ».

« De 2021 à 2023, la population non permanente qui ne connaissait pas le français aurait pratiquement triplé. En octobre 2023, elle se situait vraisemblablement entre 155 351 et 191 015 personnes », écrit M. Dubreuil, ce qui représente environ 36 % de l’immigration temporaire.

« La proportion de la population québécoise incapable de soutenir une conversation en français aurait quant à elle atteint 7,2 % en 2023, comparativement à 5,6 % en 2016. […] En deux ans, de 2021 à 2023, l’augmentation de l’immigration temporaire aurait entraîné une hausse d’environ 1,0 % de l’utilisation prédominante de l’anglais au travail. Cette hausse s’ajouterait à celle d’environ 2,1 % observée sur dix ans entre 2011 et 2021 », poursuit le commissaire.

M. Dubreuil note par ailleurs que les immigrants temporaires qui ne connaissent pas le français s’expriment pour la vaste majorité (86 %) en anglais au travail.

En matière de francisation, le commissaire précise que « des investissements de 10,6 à 12,9 milliards de dollars (G$) seraient nécessaires pour que l’ensemble des immigrantes et immigrants temporaires complètent une formation de niveau intermédiaire en français ». En 2023, une minorité d’immigrants temporaires ne maîtrisant pas le français ont suivi des cours de francisation, soit « 39,5 % des titulaires d’un permis de travail, 14,1 % des titulaires d’un permis d’études et 5,2 % des personnes demandeuses d’asile ».