Journaliste jordanienne, Rana Husseini ne s'est jamais remise de la première histoire de «crime d'honneur» qu'elle a couverte pour son journal, le Jordan Times. Elle était incapable de comprendre comment, «au nom de l'honneur», une famille avait pu tuer une jeune fille de 16 ans parce qu'elle avait été violée par son frère.

L'article qu'elle avait tiré de cette histoire il y a 15 ans, dans lequel elle citait les oncles qui blâmaient la victime pour son comportement répréhensible, avait soulevé l'ire en Jordanie. Il s'est aussi transformé en croisade pour la journaliste, qui a depuis enquêté sur des dizaines et des dizaines de cas semblables.

Le fruit de ses recherches acharnées a donné lieu à un tout nouveau livre, Meurtre au nom de l'honneur, publié en juin, ainsi qu'à une campagne pour faire changer les choses dans son pays et ailleurs.

«Ce que j'ai trouvé, c'est que les crimes qui sont appelés faussement "crimes d'honneur" sont des crimes comme les autres. Souvent, ceux qui ont perpétré les meurtres disent qu'ils l'ont fait au nom de l'honneur, mais c'est souvent pour cacher autre chose: un viol, une dispute d'héritage», a dit hier à La Presse la journaliste, jointe à Amman.

«Ils pensent que leurs problèmes vont disparaître en tuant une femme. La plupart du temps, le crime ne règle rien du tout. Le crime ne s'efface jamais. Ceux qui l'ont perpétré gardent la plupart du temps beaucoup de culpabilité», dit celle qui a interviewé de nombreux meurtriers pour mieux comprendre leurs motivations.

L'un d'eux, qui avait tué sa soeur, souhaitait même que la peine de mort soit appliquée à ceux qui tuent au nom de l'honneur afin que les familles n'incitent plus d'hommes comme lui à commettre l'irréparable.

Or, en ce moment, loin de mener à l'échafaud, le motif «d'honneur» allège la peine imposée au meurtrier dans des dizaines de pays. C'est notamment le cas en Jordanie, au Liban et dans la plupart des provinces irakiennes. «Les meurtriers sont même parfois excusés», a noté Mme Husseini en ajoutant qu'il faut changer les lois, mais que cela n'est pas suffisant. «Beaucoup de gens ne pensent pas à la punition quand ils commettent un crime. Comme dans tous les cas de violence envers les femmes, il vaut mieux documenter les cas et en parler constamment», croit la journaliste.

Rana Husseini est d'ailleurs convaincue que le chiffre utilisé par les Nations unies - qui estiment que 5000 femmes chaque année sont victimes de crimes commis au nom de l'honneur - n'est que la pointe de l'iceberg. «Souvent, ces meurtres sont signalés comme des accidents ou des suicides», a-t-elle noté.

Dissocier le crime de l'islam

Sur la base de son expérience, Mme Husseini refuse de faire l'équation entre les crimes commis au nom de l'honneur et l'islam. Au fil des ans, elle a répertorié de nombreux cas de meurtres comparables, notamment dans des villages italiens, espagnols et grecs, ou encore dans des familles sikhes. «C'est un phénomène international», fait-elle remarquer.

D'origine pakistanaise, Tahira Khan, qui a elle aussi consacré un livre à la question des crimes perpétrés au nom de l'honneur, abonde dans le même sens. «Il est exact de dire que la plupart des crimes d'honneur ont lieu dans des pays musulmans, mais ils ne sont pas liés directement aux enseignements de l'islam. Une des preuves en est que ce genre de crime n'est pas perpétré partout dans la communauté musulmane, qui compte 1,5 milliard de fidèles. On ne signale pas de "crimes d'honneur" en Indonésie, le plus grand pays musulman du monde.»