(Québec) Pendant que le gouvernement étudie un projet de loi élargissant l’admissibilité à l’aide médicale à mourir, des patients qui peuvent déjà la recevoir sont parfois accueillis dans des conditions « peu acceptables » dans les hôpitaux, dénonce auprès de La Presse le président de la Commission sur les soins de fin de vie, le DMichel Bureau.

L’histoire jusqu’ici

  • Depuis l’entrée en vigueur de la Loi concernant les soins de fin de vie, le nombre de demandes pour obtenir l’aide médicale à mourir est passé de 63 en 2015-2016 à 3663 en 2021-2022.
  • Avec le projet de loi 11, le gouvernement Legault propose d’élargir l’admissibilité à l’aide médicale à mourir aux personnes souffrant d’une maladie grave et incurable ou d’une déficience physique entraînant des incapacités significatives.
  • En Montérégie, des patients ne voulant pas recevoir ce soin en établissement ou à la maison ont pu l’obtenir dans une salle louée à un salon funéraire. La pratique a fait réagir.

« Il y a un effort important à faire », dit-il, voyant par ailleurs comme une « dérive » le fait qu’un salon funéraire de la Montérégie offre de louer une salle aux patients qui veulent passer de vie à trépas ailleurs qu’à domicile ou dans un établissement de santé. Selon nos informations, Québec déposera ce jeudi en commission parlementaire un amendement au projet de loi 11 qui aura pour effet d’encadrer cette pratique émergente.

Véritable « gardien » de la société civile pour s’assurer que la Loi concernant les soins de fin de vie soit respectée, la Commission examine chaque année, à la demande de l’Assemblée nationale, qui l’a créée, les déclarations d’aide médicale à mourir administrée au Québec. Dans son dernier rapport annuel, elle notait l’attrait croissant auprès des Québécois de ce soin ultime, qui a été offert en 2021-2022 dans 54 % des cas en centre hospitalier, alors que 33 % des patients qui l’ont reçu ont choisi de le faire à la maison.

La semaine dernière, en réaction à notre reportage détaillant l’offre de services du complexe funéraire Haut-Richelieu, où les patients admissibles à l’aide médicale à mourir peuvent louer une salle d’exposition pour y recevoir le soin, la ministre déléguée à la Santé, Sonia Bélanger, a exprimé son inconfort. Elle a également affirmé que le « réseau public a ce qu’il faut pour bien faire les choses ».

La Presse a appris que Mme Bélanger amendera finalement son projet de loi pour interdire la « promotion » de l’aide médicale à mourir.

De cette façon, il ne sera pas permis pour un salon funéraire de publiciser ses services de fin de vie, par exemple la location d’une salle pour y recevoir le soin. Par contre, si des patients le demandent par eux-mêmes, ces entreprises pourront l’offrir.

Le DBureau partage le malaise initial de la ministre à l’égard de ce nouveau service, y voyant « une saveur de banalisation et de commercialisation de la mort ». Il ajoute que le réseau de la santé doit donner un coup de barre pour améliorer les conditions dans lesquelles le soin est administré.

« Je n’ai pas en mémoire de cas rapportés où il y avait deux personnes dans la salle au moment de donner l’aide médicale à mourir, mais [certains] patients n’ont pas eu, dans les derniers jours de leur vie, une chambre seule pour mourir en paix. Il y a un effort important à faire là-dessus », dit-il.

« C’est un triste enjeu. Les hôpitaux débordent, manquent de lits et ont souvent de la difficulté à offrir l’environnement qu’il faut pour ce soin ultime. Mais [ils] doivent s’organiser pour le faire. Je ne citerai pas de noms, mais il y a des gens qui ne sont pas morts dans de bonnes conditions dans les établissements », ajoute-t-il.

Solliciter l’aide où elle se trouve

Le DMichel Breton, omnipraticien depuis 40 ans à Laval, n’est pas surpris que des patients cherchent d’autres options que les établissements de santé quand vient le temps de recevoir l’aide médicale à mourir. Impliqué dans les soins de fin de vie depuis mars 2019, il a lui-même sollicité l’aide d’une maison funéraire de l’île Jésus pour y offrir le soin, pendant la pandémie.

En entrevue avec La Presse, le DBreton raconte qu’il a déjà reçu une demande d’aide médicale à mourir d’une femme admissible à le recevoir, mais qu’au matin prévu pour le soin il était impossible de l’admettre dans un lit d’hôpital, faute de place. « Quel gâchis ! », s’exclame-t-il, alors que les enfants étaient convoqués et que la patiente était prête.

« J’ai réfléchi à la potentielle implication des entreprises funéraires de la région, mais celles-ci, invoquant le libellé de la loi, n’ont pas voulu s’avancer », dit-il. À Laval, le CISSS a depuis aménagé des chambres réservées à l’aide médicale à mourir dans une ressource intermédiaire affiliée à un établissement public de santé, précise le médecin.

« Agrandissons la perspective [et] réfléchissons en dehors de la boîte. […] Il faut arrêter de voir des croque-morts comme des méchants dans Lucky Luke. Ces gens-là, c’est leur vocation. Ils font ce travail consciencieusement avec le souci du confort des familles », dit le DBreton, qui compare l’aide médicale à mourir à un « rituel de passage » pendant lequel le champagne coule parfois à flots, où les gens préparent des repas qu’ils partagent en famille, mais surtout, où l’amour se transforme en tsunami.

Des soins « en grande fragilité »

La directrice générale du Regroupement provincial des comités des usagers, Sylvie Tremblay, que la ministre Sonia Bélanger a nommée à un groupe d’experts qui a déposé un rapport dans le cadre du projet de loi 11 révisant la Loi concernant les soins de fin de vie, affirme pour sa part que les services hospitaliers sont « en grande fragilité ».

Selon elle, des patients qui ont demandé l’aide médicale à mourir, mais dont l’état de santé s’est détérioré plus rapidement que prévu, attendent parfois un certain moment dans un corridor de l’hôpital, lorsqu’ils se présentent aux urgences, avant d’être installés dans une chambre.

Vous comprendrez mon indignation sur le fait qu’on arrive dans des étapes où les personnes sont excessivement vulnérables et qu’il n’y a pas un minimum de décorum à la fin de vie. Je tombe chaque fois en bas de ma chaise.

Sylvie Tremblay, directrice générale du Regroupement provincial des comités des usagers

Mme Tremblay s’oppose à ce que le soin soit offert dans les salons funéraires, mais elle juge aussi que le système de santé ne répond pas convenablement à la demande. « Les gens ne devraient pas, en fin de vie, quand ils avaient demandé l’aide médicale à mourir, se retrouver dans un corridor parce qu’il n’y a pas de place [à l’étage] », dit-elle.

Sollicité par La Presse, le Collège des médecins du Québec affirme que le fait d’offrir l’aide médicale à mourir dans un salon funéraire ne contrevient pas au Code de déontologie des médecins. « Il s’agit d’une question de société, à savoir si l’on veut ou non permettre aux gens de vivre leur mort ailleurs qu’en établissement de santé, en maison de soins palliatifs ou à domicile. Il appartient donc aux Québécois et aux Québécoises de débattre de cet éventuel élargissement du lieu », a-t-on répondu.