(Québec) Commentaires sexistes violents. Photos pornographiques non sollicitées. Menaces de mort. Alors que les violences perpétrées sur les réseaux sociaux se multiplient, les instigatrices du documentaire Je vous salue salope interpellent Québec pour qu’il légifère contre ceux qui agressent impunément sur le web dans le but, dénoncent-elles, de faire taire les femmes. Le gouvernement Legault promet d’agir.

Dans le foyer du Parlement à Québec, la documentariste Léa Clermont-Dion fulmine. Elle déplore que les dénonciations unanimes des politiciens lors de la campagne électorale envers la cyberviolence – alors que de plusieurs élus, comme la députée libérale Marwah Rizqy, étaient la cible de menaces – n’aient pas mené le gouvernement à s’activer sur cet enjeu.

« Ça a été un feu de paille, finalement, parce qu’il n’y a rien qui a été fait », dénonce-t-elle.

Avec l’appui des trois groupes d’opposition, Mme Clermont-Dion et sa coréalisatrice, Guylaine Maroist, ont déposé une pétition signée par plus de 25 000 citoyens qui réclament du concret à Québec. Elles demandent au gouvernement de créer une formation destinée aux policiers sur l’accompagnement des personnes victimes de cyberviolence et de déposer une motion pour mettre de la pression sur Ottawa pour qu’il légifère, comme en Allemagne, afin de forcer les propriétaires des réseaux sociaux à modérer le contenu qui est publié sur leurs sites.

Dans une déclaration écrite transmise à La Presse, le ministre de la Sécurité publique, François Bonnardel, promet qu’il étudiera les demandes formulées « avec toute la rigueur nécessaire ».

« La cyberviolence est un sujet d’actualité qui prend beaucoup de place de nos jours. C’est un phénomène inacceptable. Les sentiments de peur, de solitude et de vulnérabilité vécus par les victimes sont terribles. Je leur offre tout mon soutien. J’ai amené ce sujet au premier ministre la semaine dernière. J’ai eu le mandat de travailler activement, avec mes équipes, à produire un plan pour s’attaquer à ce fléau. […] C’est une priorité pour moi », a-t-il dit.

Un phénomène en croissance

Après son passage à l’émission Tout le monde en parle, où elle a parlé de la campagne « Stop les cyberviolences », Léa Clermont-Dion a été inondée de messages « sexistes, désobligeants, de menaces de mort et de menaces de viol ». « Ce n’était pas par hasard. Ils se sont mis en meute », explique-t-elle.

La conséquence de cette cyberviolence, chez plusieurs personnes qui en sont victimes, est de les réduire au silence, ajoute la documentariste.

Quand elles présentent leur film à des étudiantes, notamment à l’université, plusieurs confient qu’elles n’iront jamais en politique, sachant trop bien le sort qui les attend en tant que femmes qui prennent la parole.

« L’effet le plus pernicieux de cette misogynie, c’est que, de peur d’être attaquées, de plus en plus de femmes se taisent et abandonnent leur droit de parole dans l’espace public. […] Là, c’est le droit de la liberté d’expression des femmes qui est en jeu et c’est démocratique », estime Guylaine Maroist.

Un appel à l’action

La députée de Québec solidaire, Ruba Ghazal, rappelle que « n’importe qui dans la société peut subir ça, et ça a des impacts ».

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Léa Clermont-Dion et la députée de Québec solidaire, Ruba Ghazal

« Ceux qui font subir cette violence-là sur les réseaux sociaux, sur le net, c’est de créer un climat d’insécurité, de peur, et surtout de faire taire les femmes. Ici, on est presque 50 % à l’Assemblée nationale du Québec. Il faut que ça veuille dire quelque chose », affirme la députée de Mercier.

Joël Arseneau du Parti québécois souligne pour sa part que la désinhibition des violences se constate partout dans le monde. « Ce qui est inquiétant avec ce qui est dénoncé aujourd’hui, c’est que la misogynie reprend du galon à travers le cyberespace et que rien n’est fait pour le contrer », dit-il.

Le Parti libéral du Québec, qui appuie les revendications des instigateurs de la pétition, n’était pas présent lundi au point de presse.

Des exemples de cyberviolences

La campagne de sensibilisation « Stop les cyberviolences », lancée avec la sortie du film Je vous salue salope, fait une liste des types de cyberviolences qui existent sur l’internet. Ces comportements violents sont variés. Ils vont de l’humiliation du corps (« body shaming » en anglais), qui constitue à intimider une personne en lien avec son apparence physique, au vidéolynchage (lorsqu’un groupe de personnes agresse ou humilie une victime pendant qu’un complice filme la scène), mais aussi le « doxxing » (faire fuiter des informations personnelles d’un individu sans son consentement dans le but de lui nuire) ou le « slut shaming », qui consiste à « stigmatiser et culpabiliser des femmes dont l’attitude, le comportement ou l’aspect physique sont jugés provocants ».

Certains types de cyberviolences, comme le cyberharcèlement, le conseil au suicide, l’exploitation sexuelle et l’incitation à la haine, entre autres, constituent des infractions criminelles au Canada. Il existe plusieurs types d’aide provenant d’organismes pour aider les personnes qui sont victimes de cyberviolence, rappelle la campagne de sensibilisation. En cas d’urgence, « appelle ton poste de quartier [ou] le 911 ».