(Québec) Six ans après l’application de la loi sur les lanceurs d’alerte, la crainte de représailles et la « culture de l’omerta » persistent, conclut le Protecteur du citoyen. Les mécanismes de divulgation demeurent par ailleurs méconnus : plus d’un fonctionnaire sur deux n’en a jamais entendu parler.

Le Protecteur du citoyen a rendu publics jeudi les résultats des sondages effectués notamment au sein de l’administration publique pour mesurer les effets de la Loi facilitant la divulgation d’actes répréhensibles à l’égard des organismes publics, adoptée en 2017 dans la foulée des recommandations de la commission Charbonneau sur l’industrie de la construction.

Selon Marc-André Dowd, plus de six ans près l’adoption de la loi, il « reste encore beaucoup à faire sur le plan de la crédibilité » des mesures en place. Si la moitié des répondants au sondage disent avoir confiance au mécanisme de divulgation, encore 13 % craignent d’être identifiés. Plus de 16 % des personnes sondées affirment aussi craindre d’être victimes de représailles après avoir dénoncé une situation répréhensible.

« Pour plusieurs, leur milieu de travail est sous l’emprise d’une “culture de l’omerta », où le devoir de loyauté envers l’employeur est survalorisé (parfois lourdement par les autorités) ou présenté comme ayant préséance sur celui de signaler d’éventuels actes répréhensibles », écrit le Protecteur, qui ajoute que ces craintes sont le plus souvent exprimées dans les secteurs de l’éducation et de la santé.

Il s’agit d’un problème récurrent de l’application de la loi qui prévoit qu’un « responsable du suivi des divulgations » (RSD) doit être désigné à l’intérieur de chaque ministère pour analyser la plainte et en faire le suivi en toute confidentialité. Or, il a été démontré dans un rapport du Secrétariat du Conseil du trésor, en 2020, que dans plusieurs organismes, les patrons traitaient eux-mêmes des dénonciations.

Cela perpétue l’omerta et compromet l’indépendance et l’impartialité du traitement des dossiers, indiquait-on. Cette crainte persiste, confirme le rapport spécial du Protecteur du citoyen, déposé jeudi à l’Assemblée nationale. « La confiance qu’inspire le mécanisme de divulgation peut être compromise par la désignation d’un RSD, dans certaines organisations, parmi la haute hiérarchie interne », écrit M. Dowd.

Les orientations du Secrétariat du Conseil du trésor et du Protecteur du citoyen étaient pourtant claires à cet égard : le choix d’une personne haut placée dans l’organisation peut dissuader les lanceurs d’alerte de passer à l’action.

Marc-André Dowd, protecteur du citoyen

« L’impression de vivre dans un milieu hostile aux divulgateurs revient plusieurs fois dans les réponses. Selon les personnes qui partagent cette impression, les divulgateurs se mettent à haut risque d’être “chassés”, “traqués” et éventuellement punis, notamment si l’acte dénoncé met en cause un supérieur ou un responsable haut placé », relate Marc-André Dowd.

Selon les données du Protecteur du citoyen, encore 32 % des RSD sont occupés par des hauts dirigeants et 53 % par des gestionnaires, ce qui contraire à l’esprit de la loi. Le Protecteur demande par ailleurs à ce que le pouvoir de traitement des dossiers soit retiré des RSD.

Le Protecteur du citoyen a mené quatre sondages distincts. Le premier était destiné au membre du personnel d’organismes assujettis à la loi (comme les ministères et organismes), le second visait le personnel des organismes exemptés (conseil du statut de la femme, tribunal administratif des marchés financiers), le troisième s’adressait au RSD directement et enfin, le dernier était offert aux répondants en éthique.

Mécanismes inconnus

L’exercice visant les employés des ministères a permis de démontrer à quel point les mécanismes de divulgation demeurent inconnus alors que 56 % des répondants disent n’avoir jamais entendu parler de la loi sur les lanceurs d’alerte. Un total de 60 % des personnes sondées ignorent par ailleurs s’il existe un tel mécanisme au sein de leur ministère tandis que 74 % ne savent pas si un RSD est désigné.

Par ailleurs, 86 % des membres du personnel des organismes sondés ne savent pas qu’il est possible de faire une divulgation directement au Protecteur du citoyen, ce qui est pourtant garanti par la loi.

La Presse rapportait cet automne que la présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel, veut rouvrir la loi pour corriger ses failles. Elle envisage de confier tout le traitement des divulgations au Protecteur du citoyen, comme le demande d’ailleurs le chien de garde.

Le premier sondage a connu un taux de participation faible de 24 %, malgré deux vagues d’invitation, nuance cependant le Protecteur du citoyen. De plus, un taux important d’abandons a été enregistré en cours de route, tout comme une forte proportion de « [je] ne sais pas] » dans les réponses.

« Le faible taux de participation, combiné à de hauts taux d’abandon et du choix de réponse “[je] ne sais pas”, laisse perplexe. Il pourrait refléter une méconnaissance du sujet de l’enquête, soit le lancement d’alerte dans la fonction publique, ou un inconfort à s’exprimer chez certains répondants », analyse M. Dowd.