(Ottawa) Le gouvernement fédéral prévoit qu’un nombre record de près de 50 000 demandeurs d’asile auront franchi la frontière canado-américaine de manière irrégulière par le chemin Roxham durant l’année 2022.

Ces projections, si elles s’avèrent, viendront fracasser le précédent record en la matière établi en 2017 quand 18 836 demandeurs d’asile avaient foulé le sol canadien en passant par cette route durant l’ensemble de l’année.

Ce record a d’ailleurs été dépassé cet été. Selon les dernières données publiées par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), 23 538 personnes ont été interceptées par la GRC durant les sept premiers mois de l’année, soit entre janvier et août. Mais au cours des dernières semaines, les autorités canadiennes ont constaté une augmentation notable du nombre de personnes qui arrivent au pays par le chemin Roxham. Leur nombre est passé d’une centaine de demandeurs par jour au printemps à plus de 150 en août, et parfois même 300 par jour les week-ends. Ottawa estime que cette cadence s’est depuis accélérée en raison de la prolifération de filières migratoires illicites.

En septembre, Radio-Canada a publié une enquête exhaustive sur les activités lucratives d’un réseau de passeurs bien huilé qui utilise des camionnettes blanches ou des taxis pour transporter des demandeurs d’asile.

Nous allons arriver à environ 50 000 demandeurs d’asile en 2022. C’est évident que ça va provoquer d’énormes pressions. Mais il faut quand même prendre soin de ces gens et traiter leur demande d’asile.

Une source gouvernementale qui a requis l’anonymat parce qu’elle n’était pas autorisée à parler publiquement de ce dossier

Ces plus récentes projections s’ajoutent par ailleurs au nombre similaire d’immigrants que le Québec veut accueillir annuellement par les voies normales de son système d’immigration. En campagne électorale, la Coalition avenir Québec de François Legault a fixé une cible de 50 000 immigrants par année.

Crise humanitaire évoquée

Selon des informations obtenues par La Presse, ces projections font craindre le pire au gouvernement Trudeau tandis que beaucoup préviennent que le flux de migrants qui traversent la frontière par le chemin Roxham a explosé à un point tel que l’on voit venir une crise humanitaire.

L’arrivée massive de ces demandeurs d’asile risque d’accentuer les pressions qui se font déjà sentir sur des secteurs comme le logement, l’accès à des soins de santé et le système d’immigration, qui croule déjà sous les demandes de toutes sortes. Dans l’attente du traitement de leur demande, les demandeurs d’asile peuvent soumettre une demande d’aide financière de dernier recours au gouvernement du Québec.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Un migrant haïtien traverse la frontière canado-américaine par le chemin Roxham.

En coulisses, on reconnaît dans les rangs libéraux que le dossier de l’immigration demeure un sujet de friction entre Ottawa et Québec. Durant la campagne électorale, François Legault a aussi évoqué l’idée de tenir un référendum sectoriel sur l’immigration afin d’obtenir plus de pouvoirs d’Ottawa. À l’heure actuelle, l’immigration est une compétence partagée entre Québec et Ottawa en vertu d’une entente administrative conclue entre les deux capitales. Le premier ministre Justin Trudeau a déjà opposé une fin de non-recevoir à la demande de François Legault. Selon lui, Québec a déjà tous les outils dont il a besoin en matière d’immigration pour choisir la très grande majorité des immigrants qui arrivent sur son territoire.

Il reste que le chemin Roxham est redevenu une véritable autoroute pour les migrants qui arrivent au pays de façon irrégulière afin de réclamer l’asile depuis la réouverture de la frontière canado-américaine. Durant la pandémie, le nombre de migrants irréguliers utilisant cette route pour venir au Canada avait considérablement diminué en 2020 (3189 demandeurs) et en 2021 (4095 demandeurs). Mais depuis janvier, la hausse des demandeurs d’asile est fulgurante.

Fermeture du chemin demandée

Depuis quelques mois, le gouvernement Legault demande à Ottawa de fermer le chemin Roxham. « On demande clairement au gouvernement fédéral, à Justin Trudeau, de fermer le chemin Roxham parce que ça devient comme impossible à gérer, la quantité de personnes qui arrivent par là. On ne peut pas continuer comme ça », a déclaré M. Legault en mai.

Le Bloc québécois presse aussi le gouvernement Trudeau de suspsendre l’Entente sur les tiers pays sûrs avec les États-Unis pour régler ce problème, tandis que le Parti conservateur réclame un resserrement des mesures de contrôle à la frontière.

En décembre dernier, La Presse a rapporté que le gouvernement Trudeau a discrètement négocié une nouvelle mouture de cette entente avec l’administration Biden à Washington qui, une fois en vigueur, lui permettrait de colmater cette brèche à la frontière.

Essentiellement, ces modifications donneraient aux autorités canadiennes le pouvoir de refouler un demandeur d’asile aux États-Unis, peu importe qu’il se présente à un point d’entrée officiel de la frontière canado-américaine pour faire cette demande ou qu’il la dépose après avoir traversé la frontière de manière irrégulière.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Un homme est transporté du poste frontalier du chemin Roxham vers Lacolle.

En vertu de l’entente actuellement en vigueur, seuls les individus qui présentent une demande d’asile à un poste frontalier officiel sont refoulés en territoire américain.

Or, le gouvernement Trudeau attend toujours que l’administration Biden adopte les règlements pertinents qui mettent en œuvre les changements sur lesquels la ministre des Affaires étrangères Mélanie Joly et son homologue américain Antony Blinken se sont entendus.

Mais l’administration Biden n’accorde pas la même priorité à ce dossier que le gouvernement Trudeau. Elle concentre l’essentiel de ses efforts à colmater la brèche de sa frontière avec le Mexique.

« Ça ne bouge pas vite à Washington », a récemment confirmé une source gouvernementale à La Presse.

Une version précédente de ce texte indiquait que le Parti conservateur voulait mettre fin à l’Entente sur les pays tiers sûrs. En fait, il réclame que l’on renégocie l’entente pour mettre fin à l’échappatoire qui permet à des migrants de demander l’asile quand ils franchissent la frontière ailleurs qu’à un poste frontalier.