(Ottawa) Dominic Barton a remis sa démission en tant qu’ambassadeur du Canada en Chine, après deux années tendues au cours desquelles il a été félicité pour avoir contribué à obtenir la libération des « deux Michael », mais aussi critiqué pour avoir fortement recommandé un resserrement des liens commerciaux avec Pékin.

Le premier ministre Justin Trudeau a annoncé le départ imminent de M. Barton lundi matin, affirmant que l’ancien chef d’entreprise partirait officiellement à la fin de l’année.

« C’est avec beaucoup de gratitude et de respect que j’accepte la décision de l’ambassadeur Barton de quitter son poste à Beijing à la fin de l’année, écrit M. Trudeau dans une déclaration. Pendant deux ans, Dominic a dirigé notre équipe en Chine avec détermination, intégrité et compassion alors que les relations entre nos deux pays se heurtaient à des défis de taille. »

Cette annonce intervient trois mois après la libération des Canadiens Michael Kovrig et Michael Spavor, qui avaient été arrêtés et détenus pour la première fois en décembre 2018 par les autorités chinoises. Leur détention avait toutes les apparences de représailles pour l’arrestation à Vancouver de Meng Wanzhou, directrice de Huawei, que les Américains voulaient juger pour fraude.

Dans un communiqué, Dominic Barton a déclaré que la libération des deux Michaels était sa « priorité essentielle » lorsqu’il a été nommé par Justin Trudeau.

« Travailler pour obtenir la libération de Michael Kovrig et Michael Spavor a été l’un des évènements les plus importants de ma vie et j’ai été incroyablement ému par la bravoure et la résilience de ces deux hommes, ainsi que de leurs familles », a-t-il déclaré.

« Ce fut l’honneur d’une vie d’aider à leur libération et je suis extrêmement fier des nombreux fonctionnaires canadiens qui ont aidé à les ramener à la maison. »

Dominic Barton a déclaré que son successeur pour jouir « d’une base solide » pour renforcer les relations du Canada avec la Chine, « s’appuyer sur nos relations interpersonnelles, nos liens commerciaux et d’investissement, tout en continuant à rester ferme sur les droits de l’homme et la primauté du droit et en abordant les questions consulaires et d’accès au marché en suspens ».

Le cas des « deux Michael » a dominé le mandat de M. Barton en tant que plus haut diplomate canadien à Pékin, ce que M. Trudeau a noté en annonçant sa démission lundi.

« Ardent défenseur des droits de la personne et de la primauté du droit, sa grande priorité a toujours été d’obtenir la libération de Michael Kovrig et de Michael Spavor, qui avaient été détenus de façon arbitraire en Chine pendant deux ans et demi », écrit le premier ministre.

« Il a travaillé sans relâche pour réaliser cette tâche importante […] Grâce au leadership et à l’approche diplomatique habile de Dominic, Michael Kovrig et Michael Spavor sont de retour auprès de leurs proches. »

Une approche critiquée

Les deux Canadiens ont été libérés et rapatriés au Canada en septembre, quelques heures après que Mme Meng a conclu un accord de poursuites différées avec les autorités américaines. Le Canada, qui examinait encore la demande d’extradition américaine, a alors libéré Mme Meng de cette procédure et la dirigeante de Huawei a pu rentrer en Chine.

Pourtant, M. Barton, qui était précédemment cadre supérieur au sein de la firme internationale de conseil McKinsey, a également été critiqué pour avoir voulu renforcer les liens commerciaux avec la Chine pendant la détention des deux Michael, malgré la tendance de plus en plus autoritaire de Pékin.

« M. Barton était un émissaire canadien inefficace parce qu’il manquait de compréhension ou même d’intérêt pour les aspects diplomatiques non commerciaux des relations Canada-Chine », a estimé Charles Burton, qui a été deux fois conseiller diplomatique à l’ambassade du Canada à Pékin.

M. Burton, qui est maintenant chercheur principal à l’Institut Macdonald-Laurier, soutient aussi que l’ambassadeur Barton a été inefficace dans les tentatives pour forcer Pékin à libérer les deux Canadiens, ou même à leur accorder un accès consulaire régulier.

L’ancien ambassadeur du Canada en Chine David Mulroney, qui a critiqué la façon dont le gouvernement libéral avait traité la Chine ces dernières années, déplore lui aussi l’approche de M. Barton, tout comme celle de son prédécesseur, John McCallum.

M. McCallum, qui a siégé au cabinet de plusieurs premiers ministres libéraux, dont M. Trudeau, a démissionné brusquement en janvier 2019 après avoir énuméré plusieurs arguments qui, selon lui, pouvaient aider Mme Meng à lutter contre son extradition, lors d’une discussion avec des journalistes de langue chinoise.

« Nous avons eu deux ambassadeurs qui semblaient refléter la position immuable et très positive du premier ministre à l’égard de la Chine », a estimé M. Mulroney sur Twitter.

Il a ajouté que M. Trudeau « doit comprendre, enfin, que nous n’avons pas besoin d’un promoteur, mais de quelqu’un qui peut aider à mettre en place une politique intelligente et réaliste à l’égard de la Chine qui réponde au risque croissant auquel nous sommes confrontés ».

O’Toole espère plus de fermeté

Alors que le chef conservateur Erin O’Toole a remercié M. Barton pour ses services, il a également accusé le gouvernement libéral d’avoir mal géré depuis le début les relations du Canada avec la Chine.

Ce dont nous avons besoin, c’est d’une approche fondée sur des principes, qui montre que nos intérêts économiques en Chine ne domineront pas nos préoccupations concernant les droits de la personne, que ce soit pour les Ouïghours, la situation à Hong Kong, les tensions vis-à-vis de Taiwan.

Erin O’Toole, chef conservateur

« Et j’espère que M. Trudeau nommera à ce poste un diplomate d’expérience professionnelle et non un ami du Parti libéral », a-t-il ajouté.

Pendant ce temps, des questions ont fait surface aux États-Unis sur les relations de la firme McKinsey avec la Chine, car cette société multinationale, dont M. Barton a été directeur général pendant près d’une décennie, a également travaillé avec l’armée américaine.

Cela a suscité des inquiétudes quant à un conflit d’intérêts potentiel pour l’entreprise, d’autant plus que les tensions entre les États-Unis et la Chine s’intensifient.

D’autres dossiers litigieux

Alors que la libération de Mme Meng et des deux Michael a mis fin au différend le plus controversé entre le Canada et la Chine depuis des années, le gouvernement libéral continue de se débattre avec un certain nombre de questions sensibles mais importantes dans cette relation.

Ainsi, le gouvernement n’a pas encore décidé de laisser Huawei participer au réseau sans fil 5G du Canada. Il devra aussi décider jusqu’à quel point les universités canadiennes seront autorisées à travailler avec des entités chinoises, et comment il répondra à la position musclée de Pékin sur la scène mondiale.

Les libéraux ont promis en campagne électorale de lancer une « stratégie Asie-Pacifique » pour la région, soulignant l’importance de nouer de nouveaux liens commerciaux et d’étendre ceux qui existaient déjà, tout en faisant également référence à de meilleures relations diplomatiques et militaires dans la région.

Ils ont évoqué cette promesse le mois dernier dans le discours du Trône, qui n’a pas spécifiquement mentionné la Chine mais a souligné « la montée de l’autoritarisme et la lutte entre les grandes puissances », et a fait référence à « des efforts conscients pour approfondir les partenariats dans la région indopacifique ».

Dans sa déclaration, lundi, M. Trudeau félicite l’ambassadeur Barton pour avoir aidé à façonner les liens et les priorités du Canada avec la Chine. « Grâce à ses efforts, le Canada est maintenant mieux en mesure de gérer cette relation importante et d’atteindre ses objectifs diplomatiques. »