(Ottawa) Qui voulez-vous comme maire ? Comme conseiller municipal ? Ah, et voulez-vous que l’on cesse de changer l’heure deux fois par année ? Oh, et souhaitez-vous le retour de la fluoration de l’eau à Calgary ? Et puis, en passant, qui souhaitez-vous désigner sénateur à Ottawa ? Bon, et tant qu’à y être, dites-nous : doit-on abolir la péréquation ?

Les électeurs de l’Alberta sont appelés aux urnes, lundi, et ils ont intérêt à avoir un crayon bien taillé. Car en plus d’élire leurs représentants municipaux, ils sont invités à se prononcer sur une série de questions référendaires. Parmi celles qui promettent de retenir l’attention : celle sur le programme de péréquation.

Le premier ministre Jason Kenney en avait fait une promesse électorale. Mais depuis qu’il a été élu, en 2019, les temps ont changé. Sa cote de popularité a décliné en raison de sa gestion de la pandémie, très critiquée, et à l’échelle nationale, le paysage politique s’est transformé.

Quelques experts dressent l’état des lieux, à l’approche de la consultation populaire.

Qu’est-ce que la péréquation ? L’Alberta en souffre-t-elle ?

Le programme de péréquation est un système qui consiste à redistribuer la richesse entre les provinces à partir des taxes et impôts de tous les Canadiens. Son objectif est de faire en sorte que les services publics offerts d’un bout à l’autre du pays soient équitables. En fonction du calcul, des provinces riches, comme l’Alberta, y contribuent, et d’autres en sont bénéficiaires – c’est le cas du Québec. Mais est-il injuste envers l’Alberta ? « On ne va pas piger de l’argent en Alberta », insiste Geneviève Tellier, professeure titulaire à l’Université d’Ottawa. « La mesure de la richesse [dans le calcul], ce n’est pas combien une province récolte en impôts, c’est combien elle pourrait récolter en impôts. En Alberta, il n’y a pas de taxe de vente provinciale, et si on compare aux autres provinces, les taux d’imposition pour les riches sont minimes. C’est un choix de société », dit la politologue.

Pourquoi un référendum ?

Ce n’est pas d’hier que la province de l’Ouest descend en flammes le principe de la péréquation. « C’est devenu le symbole le plus puissant de l’iniquité de l’entente de l’Alberta dans la confédération », tonnait encore Jason Kenney en juillet dernier. S’il s’est engagé à tenir un référendum, c’était en partie pour rallier les forces de droite sous le parapluie du Parti conservateur uni et battre les néo-démocrates au scrutin de 2019. « Il en a fait un cheval de bataille, mais c’était avant la pandémie », remarque Jean-Christophe Boucher, professeur adjoint à l’École des politiques publiques de l’Université de Calgary. Et il se demande « dans quelle mesure ce qui était une bonne campagne politique en 2019 reflète la réalité actuelle », et si on n’aura pas finalement droit « à un référendum non pas sur la péréquation, mais plutôt sur le leadership de Jason Kenney ».

PHOTO JEFF MCINTOSH, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Calgary, métropole de l’Alberta

La question est-elle claire ?

Elle est « très claire, mais aussi très irréaliste, et elle ne tient pas debout, parce qu’on ne peut pas éliminer la péréquation comme ça », indique le professeur Frédéric Boily, aussi vice-doyen au campus Saint-Jean de l’Université de l’Alberta. La question est libellée comme suit : « L’article 36 (2) de la Loi constitutionnelle de 1982 – l’engagement du Parlement et du gouvernement du Canada envers le principe des paiements de péréquation – devrait-il être retiré de la Constitution ? » Même si une majorité claire répond oui, la démarche est vouée à l’échec, précise M. Boily : « Ça, le gouvernement le sait, et Jason Kenney l’a avoué. On ne s’attend pas à ce que l’article soit retiré, on veut se donner un levier pour faire pression sur le fédéral. » Il y a cependant peu de partenaires de danse.

Qu’en disent Québec et Ottawa ?

Le gouvernement de François Legault, pour ne nommer que celui-là, ne fera pas de cette question un cheval de bataille. « Nous n’avons pas l’intention de réclamer des modifications à l’entente », écrit Ewan Sauves, attaché de presse du premier ministre québécois. Il réitère toutefois que l’objectif du gouvernement caquiste est d’« atteindre la péréquation zéro », mais il précise qu’on mettra « plusieurs années pour y arriver ». Le fédéral n’a pas voulu commenter l’enjeu cette semaine. Mais Justin Trudeau a tourné en dérision la croisade de Jason Kenney à plus d’une reprise, soulignant que le dirigeant albertain faisait partie du gouvernement qui a négocié et mis en œuvre l’entente, celui de Stephen Harper. L’accord en question est valide jusqu’en 2024.

PHOTO ANDREJ IVANOV, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Justin Trudeau, premier ministre du Canada

Que risque Jason Kenney ?

Gros – quel que soit le résultat. « Si ça ne marche pas, non seulement il n’aura pas été en mesure de gérer la crise de la COVID-19, mais en plus, un des principaux éléments de sa campagne ne passera pas. Et s’il gagne, il va se passer quoi ? Rien ! En fait, ce serait pire s’il gagnait, car il va devoir faire quelque chose », lâche Jean-Christophe Boucher. « Il est dans une position de faiblesse importante », estime Frédéric Boily. Les prochaines élections provinciales ne doivent pas avoir lieu avant mai 2023, mais les nuages gris sont bien présents au-dessus de la tête de Jason Kenney. Selon un coup de sonde Angus Reid paru mercredi dernier, sa cote d’approbation est de 22 %, ce qui en fait le premier ministre le plus impopulaire au pays.

Cochera-t-on oui ou non ?

Un sondage réalisé par la firme Léger entre le 21 septembre et le 6 octobre établit à 26 % le niveau d’appui à l’option du Non et à 43 % celle du Oui. Mais attention : 28 % des personnes interrogées sont indécises, et les partisans du camp du Oui seraient plus susceptibles d’aller voter. L’analyse de ce coup de sonde réalisé par le groupe de recherche Common Ground, de l’Université de l’Alberta, conclut par ailleurs que « les Albertains ont un degré de compréhension étonnamment faible de la péréquation ». L’intérêt, lui aussi, est faible. « Il n’y a pas d’effervescence référendaire […], surtout que ce n’est pas juste un référendum. C’est pris avec les élections municipales, et d’autres questions sont posées », expose Frédéric Boily. « Moi, la question qui m’intéresse le plus, c’est celle du changement d’heure, en fait », conclut-il.

Dans une précédente version de ce texte, des statistiques étaient inversées. Nous indiquions erronément qu'un sondage réalisé par la firme Léger entre le 21 septembre et le 6 octobre établit à 43 % le niveau d’appui à l’option du Non et à 26 % celle du Oui. Nos excuses.