(Ottawa) Les libéraux fédéraux affirment qu’ils en appellent d’une décision du Tribunal canadien des droits de la personne concernant des enfants des Premières Nations puisqu’elle limite les familles qui pourraient recevoir une indemnisation, mais plusieurs groupes croient que le gouvernement cherche en fait à éviter de délier les cordons de sa bourse.

Les avocats du ministère fédéral de la Justice ont commencé à présenter leurs arguments lundi, à Ottawa. Ils demandent à la Cour fédérale de surseoir à l’exécution de l’ordonnance rendue en septembre par le Tribunal canadien des droits de la personne, qui sommait le gouvernement fédéral d’indemniser les familles et enfants autochtones ayant été séparées de manière inappropriée par le système de protection de la jeunesse au cours des 13 dernières années.

Le tribunal a conclu que le gouvernement fédéral avait fait preuve de discrimination de façon « délibérée ou inconsidérée » en ne finançant pas correctement les services à l’enfance et à la famille. Par conséquent, des enfants ont été arrachés à leur maison et à leur famille pour être placés hors des réserves, où ils seraient mieux desservis par les services publics provinciaux.

Un avocat du ministère de la Justice a plaidé lundi que la décision du tribunal ne permettrait pas de dédommager toutes les victimes. Le gouvernement souhaite verser des compensations, mais de manière plus inclusive, a fait valoir Robert Me Frater.

Dans un communiqué publié lundi matin, le nouveau ministre des Services aux Autochtones, Marc Miller, et son collègue de la Justice, David Lametti, ont expliqué que leur gouvernement préfère aller de l’avant en négociant un règlement plus étendu en lien avec une action collective intentée contre lui.

Xavier Moushoom, un Québécois d’origine algonquine, avait été transféré dans 14 foyers d’accueil de l’âge de neuf ans jusqu’à 18 ans. Dans sa requête, il soutient que le gouvernement fédéral savait que les services de protection de l’enfance pour les enfants des réserves étaient insuffisamment financés, mais il n’a rien fait.

Les ministres Miller et Lametti soutiennent que le Canada « admet qu’il doit indemniser de façon juste et équitable les enfants des Premières Nations qui ont subi les effets négatifs des politiques relatives aux enfants et à la famille ».

« Nous croyons également que la décision du Tribunal canadien des droits de la personne sur l’indemnisation ne tient pas compte adéquatement de toutes les questions relatives à la compensation appropriée, soutiennent les ministres. Par exemple, elle ne comprend que les personnes touchées depuis 2006, alors qu’on remonte à 1991 dans le recours collectif Moushoom proposé. »

« Ce qu’il faut faire, c’est de chercher une approche qui nous permettra de trouver une solution juste et équitable, plaident-ils. C’est dans cette optique que nous collaborerons avec les avocats des demandeurs afin d’aller de l’avant avec la certification du recours collectif. »

Les avocats fédéraux ont commencé à négocier avec les avocats des plaignants plus tôt cet automne. Un autre Autochtone, Jeremy Meawasige, a été ajouté comme nouveau demandeur lorsque la déclaration initiale a été modifiée pour porter le litige de 3 à 6 milliards. Le Néo-Écossais aujourd’hui âgé de 25 ans est né avec une paralysie cérébrale, une courbure de la colonne vertébrale et un trouble du spectre de l’autisme. Il s’est battu contre le gouvernement fédéral pour obtenir un financement adéquat pour les services essentiels.

40 000 $ pour chaque victime

La demande de certification pour une action collective avait été déposée en mars dernier, alors que l’ordonnance du Tribunal des droits de la personne a été rendue en septembre. Elle obligeait le gouvernement à verser 40 000 $ pour chaque enfant des Premières Nations enlevé de manière inappropriée à sa famille depuis 2006, ainsi qu’une indemnité similaire aux parents ou grands-parents dont les enfants avaient été retirés de manière inappropriée, ainsi qu’aux enfants qui se sont vus refuser des services essentiels.

L’Assemblée des Premières Nations a estimé que 54 000 enfants et leurs parents pourraient être admissibles, mais qu’il reste à déterminer quelles familles seraient couvertes dans le cadre de négociations avec la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, l’organisme derrière la plainte initiale au Tribunal des droits de la personne en 2007.

Le 6 septembre dernier, ce tribunal a décidé d’accorder le dédommagement maximal autorisé par la loi : 40 000 $.

Trois jours avant la date limite du 7 octobre — et au beau milieu de la campagne électorale —, le gouvernement libéral a décidé d’interjeter appel de cette décision, estimant que les enfants avaient droit à une indemnisation, mais que les conclusions du tribunal suscitaient certaines inquiétudes. Ils n’ont pas précisé à ce moment-là ce dont ils étaient insatisfaits, mais ont soutenu que la date butoir du 10 décembre fixée par le tribunal pour élaborer un régime d’indemnisation n’offrait pas assez de temps pour y parvenir, compte tenu des élections.

Le député néo-démocrate sortant d’Abitibi—Baie-James—Nunavik—Eeyou, Romeo Saganash, a alors écrit sur Twitter : « Je ne veux plus jamais entendre un libéral parler de réconciliation. Jamais ! ».

En cour lundi, des avocats représentant la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, l’Assemblée des Premières Nations et l’organisme Nishnawbe Aski Nation ont contesté l’idée selon laquelle le gouvernement fédéral interjette appel puisqu’il veut se montrer encore plus généreux.

« Ce n’est pas le problème, dénonce Julian Falconer, l’avocat représentant Nishnawbe Aski Nation. Ils ne veulent pas que le tribunal leur ordonne de compenser. C’est pour ça qu’ils se battent. »