L’explosion du nombre de demandeurs d’asile à la frontière canado-américaine en 2017 a complètement embourbé un système qui était déjà inadéquat, tranche le vérificateur général du Canada dans un rapport publié mardi.

Reports d’audiences pour plus des deux tiers des demandes, dédoublement des efforts de traitement des cas, lacunes des contrôles sécuritaires à la frontière : le chien de garde brosse le portrait d’une gestion carrément «inefficiente» de la situation.

À la fin décembre 2018, le délai d’attente pour qu’une décision soit rendue sur une demande d’asile s’élevait à deux ans, et il y avait 71 380 demandes d’asile en attente d’une décision, a évalué le vérificateur général par intérim, Sylvain Ricard.

Et les choses pourraient empirer si Ottawa ne corrige pas le tir : «Si le nombre de demandeurs d’asile se maintient à environ 50 000 par année, le délai d’attente pour obtenir une décision aura plus que doublé d’ici 2024 pour atteindre cinq ans».

C’est réellement l’explosion des demandes d’asile présentées en 2017, dont la majorité au Québec, qui a «rapidement miné la capacité du système», et qui a fait en sorte que moins d’une personne sur cinq a obtenu une audience dans le délai prescrit de 60 jours.

Le fait que l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada et la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada aient utilisé «des systèmes informatiques inadéquats» n’a pas aidé.

«Nous avons constaté que les trois organisations continuaient de se servir de dossiers papier, et que même si les renseignements étaient disponibles en version électronique, ils étaient diffusés par télécopieur», lit-on dans le rapport.

On constate par ailleurs que l’absence d’un «programme d’assurance de la qualité» pour vérifier l’exactitude des renseignements a mené à monter «des dossiers qui contenaient des copies numérisées illisibles de pièces d’identité ainsi que des erreurs».

Cela a pu faire en sorte que des demandeurs ont passé entre les mailles du filet. «Selon un échantillon représentatif, environ 400 demandes ne comportaient pas une vérification biométrique de l’identité ou des antécédents criminels».

Bien que ces cas représentent seulement 0,5% des demandes nécessitant un contrôle de l’identité, ces vérifications «sont importantes pour assurer la sécurité publique et l’intégrité du système», relève-t-on dans le rapport.

Le vérificateur général par intérim estime que plusieurs des problèmes identifiés dans l’audit réalisé entre le 1er janvier 2015 et le 30 juin 2018 pourraient «être corrigés dans le cadre du système actuel et des lois en vigueur».

La Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada devrait, entre autres, utiliser les pouvoirs qui lui sont accordés en vertu de la loi pour accélérer le traitement des demandes.

La loi lui permet notamment de statuer sur certaines demandes sans tenir d’audience. Elle prévoit aussi que les demandeurs d’asile de ressortissants venus de pays qui ne sont pas habituellement source de réfugiés soient traitées plus rapidement.

La Commission «devrait recourir plus efficacement et plus fréquemment aux processus qui sont mis à sa disposition pour accélérer la prise de décision sur les demandes d’asile qui sont recevables», recommande le vérificateur général par intérim.

Un portrait «instantané», plaide Hussen

PC

Ahmed Hussen

Le ministre de l’Immigration, Ahmed Hussen, soutient que la situation décrite par le VG est un «instantané», et que la situation a bien changé depuis – ce qu’il a fait en accusant le précédent gouvernement d’avoir laissé en héritage des cas en arriéré.

«Je ne rejette pas [les conclusions du rapport]», a-t-il assuré en conférence de presse, plaidant que le gouvernement Trudeau a «fait des investissements» qui ont permis au système d’être «mieux préparé à s’adapter aux fluctuations du volume de demandes».

Le ministre a cité en exemple le 1,18 milliard sur cinq ans prévu au budget de mars dernier. Cette somme vise à améliorer la sécurité à la frontière, traiter les demandes d’asile et faciliter le renvoi des auteurs d’une demande d’asile rejetée.

Une fonctionnaire du bureau VG a cependant été bien claire sur le fait que l’argent ne réglerait pas tout. «C’est aussi une question d’efficacité», a souligné Carol McCalla en conférence de presse.

Chez les conservateurs, le député Pierre Paul-Hus a déclaré que le rapport du VG donnait raison à l’opposition, qui tape sur ce clou depuis des mois en accusant le premier ministre Justin Trudeau d’être à l’origine de la crise, et ce, en raison d’un tweet envoyé en janvier 2017, après l’adoption d’une première mouture du décret migratoire de Donald Trump.

«À ceux qui fuient la persécution, la terreur et la guerre, sachez que le Canada vous accueillera indépendamment de votre foi. La diversité fait notre force. #BienvenueauCanada», écrivait-il sur Twitter.