La voix anglaise que l'on peut entendre dans un grand nombre de vidéos de propagande du groupe État islamique (EI) est celle d'un citoyen canadien, a révélé hier le New York Times. Mohammed Khalifa, que le quotidien new-yorkais a rencontré dans une prison syrienne, a ainsi joué un rôle important dans la campagne de recrutement de l'organisation terroriste au cours des dernières années.

Après sa capture à la mi-janvier par les Forces démocratiques syriennes (FDS), il a soutenu qu'il était notamment la voix d'une des vidéos les plus tristement célèbres de l'EI, Flames of War, hymne à la gloire du groupe terroriste.

Trois experts en analyse audio ont confirmé au New York Times que c'est « très probablement » Khalifa, 35 ans, qui a prêté sa voix à l'enregistrement.

Un officiel américain au fait du dossier a plus tard corroboré auprès du quotidien les déclarations du Canadien.

Flames of War a été parmi les premières vidéos auxquelles Mohammed Khalifa, Abu Ridwan, de son nom de guerre, a prêté sa voix. Il y en a eu des douzaines d'autres, selon le Times.

« Je n'ai pas de regrets. Mes interrogateurs m'ont demandé la même chose et je leur ai répondu la même chose. » - Mohammed Khalifa au New York Times

Le FBI, les médias et des experts se demandaient tous depuis la parution en 2014 de Flames of War à qui appartenait la voix à l'accent nord-américain de la vidéo de propagande de 55 minutes.

D'après un spécialiste de la radicalisation consulté par le Times, Amarnath Amarasingam, c'est aussi vraisemblablement la voix de Khalifa que l'on entend dans l'enregistrement de l'EI revendiquant en anglais les attaques terroristes perpétrées à Paris en 2015.

La narration que Khalifa a assurée en anglais a eu « un impact très important » dans l'effort de l'État islamique de rejoindre de potentiels combattants et en rallier certains à la cause de l'organisation, affirme de son côté Houchang Hassan-Yari, professeur émérite au département de science politique du Collège militaire royal du Canada, en entrevue téléphonique avec La Presse.

Certains individus exposés à l'endoctrinement de l'EI se sont sans doute sentis « plus interpellés par un message glorifiant la défense d'une cause dans leur langue », croit-il.

L'INFLUENCE DES CONFÉRENCES EN LIGNE

Né à Djeddah, en Arabie saoudite, de parents éthiopiens, Mohammed Khalifa est arrivé au Canada en 1988. Il a fait des études en informatique au Seneca College de Toronto, puis a travaillé comme spécialiste des technologies de l'information, rapporte le New York Times, qui l'a rencontré peu après son arrestation dans le nord de la Syrie.

Khalifa, qui dit être père de deux enfants, a raconté au quotidien s'être rendu en Syrie en 2013 après avoir été convaincu de la nécessité de faire le djihad par des conférences en ligne de l'imam américain propagandiste Anwar al-Awlaki.

Maintenant détenu dans une prison syrienne, Khalifa n'aurait pas été visité par les autorités canadiennes.

« S'il le sollicite, le Canada se doit d'aller le rencontrer et lui porter une assistance consulaire. » - Me Stéphane Handfield, avocat spécialisé en droit criminel et en immigration

Il n'a pas été possible d'obtenir de commentaires du ministère des Affaires étrangères et du ministère de la Sécurité publique hier.

PROPAGER LE MESSAGE

À son arrivée en Syrie, Mohammed Khalifa s'est d'abord joint à une brigade qui a prêté allégeance à l'EI vers la fin de 2013. Avant même que le « califat » du groupe djihadiste ne soit instauré, en 2014, le Canadien a commencé à travailler avec le « ministère des Médias » de l'organisation.

Il a d'abord été traducteur, puis on lui a demandé d'assurer la narration de vidéos.

Sa voix se retrouve par exemple dans des vidéos montrant des exécutions, auxquelles il jure n'avoir jamais pris part. « Je n'étais qu'une voix », a-t-il dit, expliquant qu'il travaillait uniquement dans un studio, dans les premiers temps.

L'EI a beaucoup misé sur son organe de propagande durant son essor, explique Houchang Hassan-Yari.

« La propagande est une machine qui produit des soldats pour alimenter la guerre et Daesh (autre nom de l'EI) avait une propagande très attirante », dit-il.

« La vaste majorité des jeunes étrangers qui sont allés combattre ne parlait pas arabe, ne comprenait pas complètement la cause et n'avait pas de connaissance profonde de l'islam, souligne Houchang Hassan-Yari. La langue était le véhicule par excellence, un trait d'union. »

- Avec le New York Times

***

LE RETOUR DES DJIHADISTES

L'ONG Familles contre l'extrémisme violent, citée par l'AFP, estime que quelque 25 Canadiens sont actuellement retenus par les Forces démocratiques syriennes. Sommé notamment par l'ONU de rapatrier ses citoyens partis faire le djihad, le Canada soutient qu'il n'a aucune intention de le faire. « Je vois mal comment le gouvernement accepterait de rapatrier ces gens qui ont volontairement quitté le Canada et commis des crimes terroristes à l'étranger », soulève l'avocat Stéphane Handfield, qui estime que le Canada n'a par ailleurs « aucune obligation » de procéder à ces rapatriements. Hier, sur Twitter, le président Donald Trump a exhorté les pays européens à « reprendre plus de 800 combattants de l'EI que [les États-Unis ont] capturés en Syrie afin de les traduire en justice », affirmant qu'il serait « obligé » de les libérer dans le cas contraire. « Il veut remettre les combattants qu'il a aidé à emprisonner à leurs pays, analyse M. Handfield. Il ne veut pas se ramasser avec ces gens-là. » L'administration semi-autonome kurde, qui gère des territoires dans le nord de la Syrie en guerre, refuse de juger les étrangers et veut les renvoyer dans leurs pays d'origine. Mais les puissances occidentales se montrent réticentes face à l'hostilité d'une partie de leur opinion publique.

- Avec l'Agence France-Presse