Alors que les municipalités ontariennes s'interrogent sur la pertinence d'autoriser les boutiques de vente de cannabis sur leur territoire, experts et défenseurs du choix des consommateurs préviennent que si de grandes régions de la province interdisent la vente de cannabis en magasin, c'est le marché noir qui va en profiter.

Actuellement, le cannabis récréatif ne peut être acheté que sur la plateforme en ligne de la société d'État en Ontario. Les municipalités ont jusqu'au 22 janvier pour décider si elles souhaitent accueillir des boutiques privées qui devraient ouvrir leurs portes au printemps prochain.

En vertu des règles établies par le gouvernement progressiste-conservateur de Doug Ford, les municipalités qui refusent de permettre l'ouverture de tels commerces pourront éventuellement revenir sur leur décision. Toutefois, celles qui choisissent d'autoriser les boutiques de « pot » ne pourront pas reculer.

Au cours des dernières semaines, plusieurs municipalités rurales et grandes villes, dont Mississauga, ont préféré interdire la vente au détail de cannabis, soutenant vouloir conserver davantage de contrôle sur le nombre d'établissements et leur éventuel emplacement avant de s'engager. D'autres ont plaidé qu'elles avaient besoin de plus de temps pour consulter leur population.

En ajoutant à cela la récente annonce du gouvernement ontarien qui souhaite limiter à 25 le nombre de permis de vente au détail d'ici avril, on obtient un contexte particulièrement favorable pour permettre au marché noir de prospérer, estiment des experts et des groupes de défense des consommateurs.

« Malheureusement, tout cela s'est avéré être une comédie d'erreurs", a commenté Anindya Sen, professeur d'économie à l'Université de Waterloo et spécialiste de l'industrie du cannabis. Quand on met toutes ces choses ensemble, il est possible que malgré la légalisation, l'Ontario devienne l'un des plus grands marchés noirs du monde. »

Bien qu'internet demeure une option, M. Sen souligne que les problèmes de livraison et le choix limité de produits sur la plateforme du gouvernement sapent les efforts de lutte contre le marché illégal.

« Une combinaison toxique »

Cette impression est partagée par David Clement, responsable des affaires nord-américaines du Consumer Choice Center.

« Le refus de certaines communautés et la limitation du nombre de boutiques forment une combinaison toxique qui garantit pratiquement que le marché noir va prospérer, analyse-t-il. Le plafonnement du nombre de points de vente et l'exclusion de communautés entières rendent le marché légal de l'Ontario beaucoup moins accessible. »

Le gouvernement ontarien a justifié sa décision de limiter le nombre de permis par la pénurie nationale de cannabis. Un problème auquel seul le gouvernement fédéral peut remédier.

« L'Ontario a l'intention de tendre vers un marché ouvert dès que l'approvisionnement va le permettre », a assuré par courriel Jesse Robichaud, porte-parole de la procureure générale Caroline Mulroney.

Il a ajouté que les municipalités qui veulent accueillir des boutiques sur leur territoire vont disposer de 15 jours pour soumettre leurs demandes écrites à la Commission des alcools et des jeux de l'Ontario, l'agence qui supervise la vente de cannabis au détail, pour suggérer des lieux propices à ce type de commerce. M. Robichaud n'a pas voulu dire si les municipalités pourraient éventuellement obtenir plus de contrôle sur le choix des emplacements.

La province s'est engagée à verser 40 millions sur deux ans pour aider les administrations locales à couvrir les coûts de la légalisation, chaque municipalité devant recevoir au moins 10 000 $. Un premier versement sera effectué cette année en proportion du nombre de ménages, mais un deuxième versement, après la date limite de janvier, ira uniquement aux municipalités qui ont accepté l'ouverture de boutiques de cannabis, a expliqué Jesse Robichaud.