Mort d'enfants en série, présumés sévices sexuels d'un prêtre, déportation de dizaines de familles laissées-pour-compte. Les enfants et les membres de la communauté isolée de Pakuashipi sur la Côte-Nord ont vécu l'enfer pendant des années. Des Innus ont survolé les quelque 550 kilomètres les séparant de Mani-Utenam pour livrer leur vérité devant la commission d'enquête fédérale sur les femmes autochtones assassinées et disparues au pays.

Deux membres de la communauté de Pakuashipi ont allégué avoir subi des sévices sexuels du prêtre de l'endroit, Alexis Joveneau, qui était à l'époque «comparé à un Dieu». Mary Mark a témoigné mardi de son histoire avec émotion.

«J'étais à la confesse. Il fallait s'agenouiller devant lui ou s'asseoir sur ses genoux. Il nous disait que c'était lui notre père. J'étais jeune, je ne savais pas quoi confesser. Il a passé sa main sous ma chemise, il a caressé mon ventre et m'a touchée vers le bas. J'ai pris sa main pour la déplacer et il a arrêté*», a-t-elle raconté. Elle avait 7 ou 8 ans.

Elle allègue ne pas être la seule à avoir subi des agressions de la part du même prêtre. Thérèse Lalo a aussi parlé de présumées agressions qui survenaient après des projections qu'il organisait. L'Innue avait 7 ans. Elle a brisé le silence pour la première fois en septembre quand l'équipe de la commission d'enquête fédérale s'est déplacée à Pakuashipi. «On a vécu une autre forme de pensionnat [...] Nous aussi on les a vécus, mais autrement», a soulevé Mme Mark.

Le père Alexis Joveneau originaire de la Belgique était un Oblat de Marie-Immaculée. Il a oeuvré dans la communauté de La Romaine auprès des Innus à partir de 1954 jusqu'à sa mort en 1992.

Déportation vers La Romaine

À l'été 1961, des dizaines de familles de Pakuashipi quittent leurs terres pour gagner le village d'Unamen Shipu (La Romaine) reconnu comme une réserve dans l'espoir d'obtenir une maison. Mais les promesses gouvernementales de l'époque ne sont pas au rendez-vous et plusieurs Innus choisissent de retourner au bercail ce à quoi se serait opposé le clergé.

Des Innus ont allégué mardi et mercredi que le père Joveneau aurait déchiré les chèques que recevaient les autochtones qui avaient décidé de partir, les laissant pratiquement sans vivres et appauvris. Des aînés ont témoigné de cette période qui a laissé plusieurs séquelles au sein de leur communauté. Des documents signés par l'autorité religieuse démontrent qu'elle a incité le ministère des Affaires indiennes à ne pas classer ces familles «comme familles canadiennes».

La congrégation réagit

Les Missionnaires Oblats de Marie-Immaculée ont offert mercredi leur pleine collaboration à l'Enquête nationale sur les femmes autochtones à la lumière des témoignages entendus. 

«Les Oblats sont profondément préoccupés et affligés suite aux témoignages entendus à l'occasion de cette enquête et souhaitent que toute la lumière soit faite sur ces évènements. Les Oblats souhaitent ardemment que les membres de la communauté puissent témoigner librement pour retrouver la paix d'esprit. Ils condamnent vigoureusement toute forme de violence physique ou psychologique», a réagi la congrégation dans un communiqué.

La mort en série d'enfants

Neuf enfants de Pakuashipi en très bas âge sont morts après avoir été évacués de la communauté, accessible par bateau, pour être soignés à Blanc-Sablon entre 1970 et 1972. Les bambins étaient héliportés seuls laissant leurs parents dans le noir complet, ont témoigné mardi deux mamans. «Le personnel de la santé te faisait sentir que tu ne pouvais pas les accompagner*», a relaté Agnès Poker. Elle a vu deux de ses enfants partir pour l'hôpital sans jamais en revenir.

Elle a eu des réponses en 2014 seulement quand l'équipe de l'émission Enquête a produit un reportage sur l'épisode d'enfants disparus à Pakuashipi. Les rapports d'autopsie révéleraient que huit d'entre eux sont décédés d'une infection pulmonaire. Les documents sont néanmoins scellés d'une ordonnance de non-publication. Comment expliquer ce sombre chapitre ? La question est sans réponses. Encore aujourd'hui, Mme Poker n'a aucune idée où ont été enterrés ses bébés. Elle n'a nulle part pour les pleurer.

Le silence a assez duré

Très émotive au terme des récits livrés par des familles de Pakuashipi mardi, la commissaire Michèle Audette, qui a grandi à Mani-Utenam sur la Côte-Nord, a affirmé que le «silence avait assez duré» pour les communautés isolées.

«Qu'on parle de violence de la part d'une institution religieuse ou de la façon dont est traité un enfant autochtone comparativement à un enfant blanc, on ne peut guérir votre souffrance, mais on veut et on peut marcher à vos côtés pour que ça change», a-t-elle adressé aux familles. «Cette enquête-là a aussi un pouvoir de guérison. Quand le monde est loin, loin, loin, on les oublie souvent. Aujourd'hui, c'est votre moment».

L'enquête fédérale espère faire la lumière sur les causes systémiques menant à la violence contre les femmes autochtones. L'exercice permettra aussi à des familles de trouver des réponses parce que la commission a le pouvoir d'en demander aux institutions fédérales et québécoises impliquées. Les travaux se poursuivent à Mani-Utenam jusqu'à vendredi.

*Propos rapportés par un traducteur.