La lutte de deux ex-détenues de la Colombie-Britannique qui ont revendiqué avec succès le droit de garder avec elles leurs très jeunes enfants pendant leur séjour en prison pourrait faire des petits au Québec, selon des juristes.

En décembre, dans un jugement de quelque 134 pages, la Cour supérieure de la Colombie-Britannique statuait que l'abolition en 2008 d'un programme permettant à des mères incarcérées de garder leur bébé avec elles constitue une violation de leurs droits.

Pour l'avancer, la juge Carol Ross s'est notamment appuyée sur deux articles de la Charte des droits et libertés. D'abord, sur celui qui garantit le droit à la sécurité des personnes et donc, à son avis, sur le droit pour une mère et un enfant à vivre ensemble; ensuite, sur celui qui protège contre toute forme de discrimination.

Car, pour la juge Ross, l'abolition du programme mères-enfants est discriminatoire envers les autochtones «étant donné leur surreprésentation dans les prisons et pénitenciers et étant donné le rôle historique joué par les gouvernements dans la dislocation de leurs familles».

Intérêt de l'enfant

Fait à noter, les plaignantes n'ont pas revendiqué le droit de toutes les détenues de purger une peine avec leur enfant, mais seulement dans les cas où une évaluation psychologique confirme que c'est dans l'intérêt de l'enfant.

Or, au Québec, les détenues qui purgent une peine provinciale ne peuvent vivre avec leur bébé dans une maisonnette semblable à celles que l'on voit dans la série Unité 9.

 Si elles se trouvent à la prison Tanguay, elles peuvent tout au plus avoir un droit de visite de 24 heures, sous supervision, dans une roulotte.

Dans les pénitenciers fédéraux, des programmes mères-enfants existent et permettent à des enfants de vivre jusqu'à l'âge de 4 ans avec leur mère. Mais comme l'explique Ivan Zinger, directeur général du Bureau de l'enquêteur correctionnel du Canada (l'ombudsman des détenus), le nombre de participantes a été réduit comme peau de chagrin par un resserrement des critères en 2008 par Ottawa.

Ainsi, dit-il, «depuis 2008-2009, il n'y a eu dans tout le Canada que 14 participantes. C'est nettement insuffisant».

À la lumière de tout cela, que penser de ce jugement de la Cour supérieure de la Colombie-Britannique?

Comme l'explique Lida Sara Nouraie, avocate au service juridique de la Société Élizabeth Fry au Québec (qui vient en aide aux détenues), le jugement de la Cour supérieure de la Colombie-Britannique ne crée pas un précédent que les cours du Québec doivent suivre. «Par contre, il s'agit évidemment d'un précédent sur lequel les cours québécoises peuvent s'appuyer pour rendre un jugement similaire.»

Témoignages d'experts

Il sera d'autant plus difficile pour un juge de ne pas prendre cette décision en considération, croit Me Nouraye, qu'elle est très élaborée et s'appuie sur le témoignage de maints experts.

Le constitutionnaliste Benoît Pelletier, professeur de droit à l'Université d'Ottawa, croit aussi que ce jugement pourrait très bien nourrir la réflexion de juges d'autres juridictions si des plaintes étaient déposées ailleurs, notamment parce qu'il a trait à la Charte des droits et libertés qui touche tous les Canadiens.

Geneviève Fortin, une ex-détenue qui est aujourd'hui à la tête de l'organisme Continuité-Famille auprès des détenues (CFAD), qui favorise les visites entre les mères et leurs enfants, espère qu'un recours semblable à celui intenté en Colombie-Britannique sera vite déposé au Québec.

«Les mères qui sont détenues ont nettement trop peu accès à leurs enfants et il n'y a à peu près rien pour les pères, qui sont d'ailleurs quelques-uns ces temps-ci à entrer en contact avec moi pour voir si quelque chose peut être fait pour eux.»

Le gouvernement de la Colombie-Britannique ne portera pas la cause en appel. Stuart Bertrand, attaché de presse du ministre de la Justice, a fait savoir à La Presse que le dossier est maintenant entre les mains des affaires correctionnelles qui sont en train d'étudier «la meilleure façon d'assurer la mise en application du jugement».

«La sécurité des enfants est primordiale, insiste M. Bertrand. Il faut s'assurer de choisir la meilleure approche qui soit.»