Les explosions spectaculaires essentiellement attribuables à la vétusté du matériel se multiplient depuis deux ans dans les postes de transformation haute tension d'Hydro-Québec. Ce phénomène préoccupant, qui menace la sécurité des travailleurs, a forcé la CSST à intervenir.

Une boule de feu illumine l'écran de la caméra de surveillance. Elle projette des débris dans la neige sur près de 150 mètres. Les vitres des véhicules sont pulvérisées, leur carrosserie est criblée d'éclats.

Sur la vidéo obtenue par La Presse, on voit les débris enflammés jonchant le sol. Des fragments de porcelaine s'encastrent dans les murs du bâtiment voisin.

Ceci n'est pas le récit d'un attentat, mais l'explosion, au petit matin, d'un transformateur de courant haute tension (735Kv) modèle IH765-13 (Alsthom) au poste de Chibougamau le 28 mars 2012.

«Lorsque l'on arrive sur les lieux d'une explosion, on dirait un champ de bataille, il y a des débris de porcelaine partout, parfois aussi gros que ma tête», confie un témoin.

Dans le rapport préliminaire d'incident rédigé par la direction santé et sécurité d'Hydro-Québec, il est indiqué que des appareils adjacents, trois véhicules et le revêtement du bâtiment ont été endommagés par les morceaux des isolateurs en porcelaine projetés à haute vitesse par la déflagration.

«On a eu une défaillance majeure [...], ce n'était pas la première fois que ça arrivait», a avoué peu après Thierry Vandal, PDG d'Hydro-Québec, en commission parlementaire.

Évènement similaire au même endroit en mai dernier. Sauf que c'est un autre type de matériel qui est en cause. L'incendie, ainsi que les projections d'huile et de porcelaine causées par l'explosion de la tourelle d'une «inductance XL2» de GE, un énorme appareil, ont forcé l'intervention des pompiers.

Plus de 40 explosions

En tout, selon le Syndicat des technologues d'Hydro-Québec, ce sont «plus de 40 explosions» qui se sont produites depuis 2011. Quarante explosions d'équipement majeur. Chiffre confirmé par Hydro-Québec qui dit «surveiller ça de très près».

La situation est devenue si problématique que les employés d'Hydro-Québec ou les sous-traitants chargés de l'entretien ne pouvaient plus circuler ni intervenir sur ordre de la CSST dans des périmètres (dits «zone d'accès limité» -ZAL) pouvant atteindre 160 mètres selon le type et le marque d'appareil sous peine de subir des blessures graves si une explosion se produisait.

Voilà qui a compliqué singulièrement la tâche des techniciens chargés de l'entretien. Exemple: le poste de Chibougamau est demeuré interdit d'accès pendant un an après l'évènement de mars 2012.

«Pour éviter qu'un accident se produise, explique la porte-parole Dominique David, la CSST demande à Hydro-Québec que les ZAL soient physiquement délimitées par du matériel réglementaire et que si un technicien doit y pénétrer, sa méthode de protection soit approuvée par un ingénieur.» Ces mesures seront en place dans les mois qui viennent, dit la CSST.

Comment sont calculées ces ZAL? Hydro-Québec prend en compte la distance maximale de projection des débris observée lors d'une explosion d'un appareil du même type à laquelle elle ajoute 10% de marge de sécurité.

«Des morceaux de porcelaine pourraient être projetés sur les travailleurs, causant ainsi des blessures graves» lors d'une explosion, écrit une inspectrice de la CSST dans un rapport du 22 mars 2012.

«C'est inquiétant, il y a tout le temps un nouvel appareil hors ZAL qui explose. Entre employés, on se dit qu'il va finir par y avoir un mort», déplore une de nos sources. En 2009, un technicien d'Électricité de France (EDF) est mort à la suite de l'explosion d'un transformateur près de Paris.

«Fort heureusement, il n'y a pas eu de victime jusqu'à présent, commente Yves Lalonde, conseiller SCFP du Syndicat des technologues. Nous prenons ce dossier très au sérieux et avons fait plusieurs interventions notamment auprès de la CSST.»

Plusieurs modèles concernés

Le problème est que plusieurs équipements et plusieurs fabricants sont concernés, a constaté La Presse, et pas seulement les 247 transformateurs haute tension Alsthom type

IH 765-13 que Thierry Vandal s'était engagé à remplacer d'ici le printemps 2013 à la suite de l'incident de mars 2012. Quarante restent d'ailleurs encore à changer.

Les défaillances sont mises sur le compte du «vieillissement» et de la «fin de vie utile» de ces appareils de 35 ans de moyenne d'âge.

«On ne peut plus fonctionner comme ça, s'inquiète un employé bien au fait du dossier. À cause des coupes [budgétaires] depuis trois ans, on attend que ça pète, puis on remplace. Mais le jour où le Québec va être plongé dans le noir comme en mars 1989, ou qu'il y aura un mort, là, ça va paniquer».

- Avec Patrick Lagacé

«Blindés» à la rescousse

Comme il faut bien s'approcher de ces équipements pour assurer leur maintenance, Hydro-Québec a conçu à la hâte des pseudo véhicules blindés afin que ses employés puissent circuler dans ces zones dangereuses. L'engin en question est un Chevrolet Suburban sur lequel on a greffé une sorte de cage artisanale en métal avec des fenêtres en plexiglas. Autre solution bricolée: à LG4, les employés doivent emprunter un tunnel de conteneurs censé les protéger au cas où le transformateur posé sur le toit de la centrale exploserait.

«Le réseau est robuste», dit Hydro-Québec

«Notre réseau est grand, c'est normal dans une certaine mesure qu'il y ait un certain nombre de bris d'équipements majeurs par année [...], mais le réseau est robuste», affirme Gary Sutherland, attaché de presse à Hydro-Québec.

Mais le porte-parole ne veut pas dire s'il en survient plus que d'habitude ou non.

Il insiste plutôt sur le fait que «la sécurité de l'approvisionnement en électricité des Québécois n'est nullement mise en cause» et que les indices sont restés «stables» ces dernières années malgré la série d'explosions.

Selon lui, le vieillissement du parc d'équipement du réseau d'approvisionnement compte parmi la majorité des causes d'explosions, mais il ajoute aussi les «phénomènes naturels, tels la foudre et les animaux».

Il n'a pas été possible de connaître les statistiques d'âge moyen du parc de transformateurs et des disjoncteurs.

Se peut-il qu'Hydro-Québec soit victime du même syndrome de vieillissement de ses infrastructures que Montréal?

«Nous consacrons 900 millions de dollars par an pour la maintenance et le remplacement de pièces», réplique Gary Sutherland.

Le porte-parole concède qu'il peut y avoir des «enjeux pour les travailleurs», c'est-à-dire des risques, «s'ils se trouvent à proximité» lorsqu'une explosion survient.

«Aucun n'a été affecté par ces incidents. [...] Leur sécurité est notre priorité», citant l'exemple de la mise en place des «véhicules protégés» et des zones d'accès limité.

Des incidents en série

Plusieurs explosions majeures se sont produites depuis moins de deux ans dans des postes de transformation essentiellement de 735 KV. Les informations divulguées ici proviennent des rapports d'incidents de la direction santé et sécurité, obtenus par La Presse.

27 avril 2011 poste de Chissibi

Explosion d'un transformateur de courant Alsthom Savoisienne IH 765-13 projetant des débris de porcelaine sur un rayon de 150 mètres.

10 novembre 2011 poste des Laurentides

Explosion vers 17h35 d'une colonne de disjoncteur CGE et d'un transformateur GE 315/345 kV.

14 octobre 2011 poste des  Laurentides

Double explosion durant la nuit (vers 1h38 et 4h45) d'une colonne de commandes de 2 disjoncteurs CGE de 300 kV.

20 octobre 2011 poste de Saguenay

Explosion vers 15h36 d'un disjoncteur ABB «endommageant plusieurs appareils adjacents».

27 octobre 2011 poste des Laurentides

Éclatement vers 20h28 d'une colonne de commande d'un disjoncteur CGE-AT.

10 décembre 2011 poste de Lévis

Bris du disjoncteur PKV à 22h16 avec «éclatement des 4 chambres de coupure des têtes 1 et 3».

28 mars 2012 poste de Chibougamau

Éclatement vers 6h18 de la phase C du transformateur de courant Alsthom Savoisienne IH-765 «endommageant des appareils adjacents (sélectionneur, disjoncteur, isolateur), 3 véhicules et le revêtement du bâtiment 1».

27 février 2013 poste des Laurentides

Éclatement vers 11h d'une colonne d'air du disjoncteur Merlin Gérin. A «occasionné des projections de porcelaine jusqu'à 45 mètres».

4 mai 2013 poste de Chibougamau

Explosion vers midi d'une inductance XL2 de GE avec projection d'huile et de porcelaine suivie d'un incendie qui a nécessité l'intervention des pompiers. «Plusieurs équipements adjacents ont reçu des éclats de porcelaine. Trois véhicules et le revêtement du bâtiment 1 furent également endommagés», lit-on dans le rapport d'incident.