Premier chirurgien autochtone du Québec, Stanley Vollant a entamé en 2010 un pèlerinage visant à rallier les 11 Premières Nations du Québec et du Labrador - une grande marche de 6000 km sur cinq ans. Objectifs: redonner aux autochtones l'envie de s'approprier le territoire et insuffler aux jeunes le goût de la réussite scolaire.

Le Dr Vollant a parcouru la plus grande partie de son trajet seul ou en compagnie de son cousin Éric Hervieux, policier de Pessamit, mais son «Compostelle autochtone» suscite maintenant un intérêt national.

Les chefs de bande et les représentants de l'extérieur du Québec veulent être aperçus en compagnie du médecin. Des partis politiques, tant au provincial qu'au fédéral, l'ont contacté pour sonder ses intentions de briguer une investiture - «pas le bon timing», leur a-t-il répondu. Et ils sont maintenant des dizaines à partager la route, au moins dans les derniers kilomètres, lors des entrées remarquées dans les villages. Il ne s'en plaint pas, car cette attention sert sa cause.

«Vous devez croire que vous pouvez réussir dans la vie. J'en suis la preuve vivante, a dit le Dr Vollant, 48 ans, à l'occasion de sa visite de l'école secondaire Otapi, à Manawan, en Haute-Mauricie. J'ai grandi dans une famille pauvre, sans éducation. J'avais peur du sang! Et pourtant, je suis devenu chirurgien.»

Il partage les objectifs du mouvement Idle No More, mais n'en approuve pas les moyens. «Plutôt que de manifester et barrer des routes, nous devons apporter des initiatives constructives à la problématique des Premières Nations», a-t-il affirmé à Kitigan Zibi, en Outaouais, qui marquait le 3000e km de sa marche. C'est l'équivalent de la distance entre Québec et Miami.

À la tête d'une procession de 58 marcheurs, principalement autochtones, Stanley Vollant a terminé le 8 mars un parcours hivernal de 374 km entre Manawan et Lac-Rapide, où il a soigné les blessures des participants au cours de ses cliniques matinales. Il a aussi dû lutter contre l'hiver, trop doux à son goût. «Il a beaucoup neigé depuis deux semaines, mais le mercure est souvent remonté au-dessus de zéro. Quand on tire un traîneau, la neige collante nous ralentit et nous épuise», a-t-il dit au terme de son voyage, exténué, mais satisfait.

Témoignages de participants

Plusieurs marcheurs attikameks et algonquins se sont inscrits pour relever le défi physique et «marcher sur les traces des ancêtres», mais aussi pour faire le point dans leur vie. «Je ne savais pas que j'étais heureuse. Cette marche m'a permis de le réaliser», a lancé dans un soupir Stéphanie Quoquochi, Attikamek de Wemotaci, qui relève avec détermination les 15 à 30 km de marche quotidienne. La femme de 34 ans a connu des épisodes de dépendance aux drogues, comme de nombreux marcheurs, mais pas question de consommer pendant l'expédition de 17 jours. Le Dr Vollant a menacé d'exclure tout participant pris en flagrant délit. «L'alcool et les drogues ont fait des ravages dans nos communautés. Ma propre mère est morte à cause de son alcoolisme. Alors profitons de cette expédition pour ne pas nous intoxiquer», a-t-il dit au cours d'une des rencontres quotidiennes, en cercle, où les marcheurs se tiennent par la main avant de prendre la route.

À chaque pas, Mélanie Petiquay, 41 ans, de Manawan, pense à sa petite-fille, Marie-Soleil, atteinte d'ostéogenèse imparfaite, une grave maladie des os diagnostiquée à sa naissance, le 17 janvier 2013. «Je souhaite qu'on trouve une façon de la guérir pour qu'elle puisse marcher un jour et que les chercheurs identifient les gènes de cette maladie», a indiqué l'agente de motivation scolaire, qui a épinglé sur son sac à dos une photo de la petite.

La plupart des marcheurs ont, comme elle, une pensée pour un proche malade ou récemment mort. «Je marche pour mon fils de 31 ans qui s'est suicidé l'an dernier», a raconté Cécile Petiquay, doyenne du groupe.

Audrey Petiquay, 22 ans, a participé à la marche de l'an dernier entre la communauté attikamek la plus septentrionale, Obedjiwan, et Manawan - un parcours de près de 300 km à travers le réservoir Gouin et la vallée de la Manouane. Une marche ardue et ponctuée de grands froids (-30oC). La jeune femme souriante et volubile tenait à revenir cette année; elle a même pris sous son aile cinq jeunes de 14 à 16 ans qui voulaient faire partie de l'aventure en 2013. À les voir fendre du bois, participer à l'érection des tentes et à la corvée de sapinage, ces jeunes vivent une expérience marquante.

Motivation

Stanley Vollant encourage affectueusement ses jeunes marcheurs, car il sait qu'ils ne sont pas au bout de leur chemin. Le médecin ne cache pas que ce voyage est né à la suite d'une sévère dépression qui l'a mené au bord du suicide, en 2007.

«Son projet est magnifique, car il permet aux autochtones du Québec de reprendre contact avec le mode de vie traditionnel, tout en étant bien ancrés dans les préoccupations d'aujourd'hui», a dit Ghislain Picard, chef de l'Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador. Il se promet bien de marcher avec le Dr Vollant sur une partie de son chemin innu, ou Innu Meskenu, dans la langue autochtone.

Prochaine étape: automne 2013, de Lac-Rapide vers la communauté algonquine de Wineway, dans le Témiscamingue; 700 km au menu.

Né dans un orphelinat de Québec, Stanley Vollant était destiné à l'adoption, mais son grand-père, trappeur, a tenu à l'adopter à sa naissance. «Il m'a tout appris», aime-t-il répéter. Il a grandi à Pessamit, une réserve innue près de Baie-Comeau, dans la région de la Côte-Nord, au Québec. Aujourd'hui responsable du volet sur la santé des autochtones à la Faculté de médecine de l'Université de Montéal, il est père de trois enfants. Il a obtenu un diplôme de médecine en 1989 et en chirurgie générale en 1994 à l'Université de Montréal. Il devient par la suite spécialiste en laparoscopie digestive. En 2001, il devient le premier représentant autochtone élu à la tête d'une association médicale, l'Association médicale du Québec. Il a reçu divers honneurs, dont le titre de Personnage modèle autochtone par le gouverneur général du Canada en 1996, ce qui l'a conduit à rencontrer la reine Élisabeth II. «Une femme sympathique qui parle un excellent français!», dit-il.