En sabotant avec son avion les lignes à haute tension d'Hydro-Québec, un bien public essentiel à toute la société, le pilote Normand Dubé a agi comme un « terroriste » et doit être emprisonné pour 10 ans, la peine maximale dans un tel cas, selon l'avocat représentant le gouvernement.

« L'attaque du 4 décembre 2014 était sans précédent. M. Dubé s'en est pris à deux lignes d'alimentation électrique en provenance de la Baie-James. Il a frappé la colonne vertébrale et la jugulaire du réseau électrique québécois. Le Québec a frôlé la grande noirceur », a martelé mercredi Me Steve Baribeau, procureur de la Couronne, dans sa plaidoirie sur la peine à imposer à l'homme de 56 ans, reconnu coupable de méfait le mois dernier au palais de justice de Saint-Jérôme.

L'avocat a rappelé que 188 000 foyers avaient été privés de courant et que les dommages avaient atteint près de 29 millions.

UNE SENTENCE « HISTORIQUE »

« Il s'agit d'une attaque en règle, inédite, à l'égard d'un bien public, et où tous les Québécois ont été victimes, car les coûts de la folie de Normand Dubé, c'est nous tous qui allons devoir les assumer, a-t-il dit. Il a voulu déstabiliser, et il l'a effectivement fait avec l'un des biens essentiels à la vie et à la sécurité du Québec, et dont tout le monde a besoin, l'électricité. »

Celui qui est surnommé le « pilote des stars » parce qu'il avait l'habitude de transporter des vedettes, a survolé les lignes à haute tension d'Hydro-Québec au moment de la panne, selon la preuve présentée lors du procès. Une ordonnance de non-publication prononcée pour protéger la sécurité nationale interdit cependant de décrire la technique qu'il a utilisée pour provoquer un court-circuit.

Normand Dubé a eu un conflit avec Hydro-Québec pendant plusieurs années pour une banale histoire de servitude sur son terrain. C'est pour se venger qu'il aurait attaqué les installations de la société d'État.

Me Steve Baribeau estime que le pilote doit recevoir la peine maximale de 10 ans d'emprisonnement à la suite de sa déclaration de culpabilité, en raison de la gravité de ses gestes, mais aussi pour dissuader quiconque pourrait avoir des idées similaires.

« La sentence que vous rendrez sera historique », a lancé le procureur au juge Paul Chevalier. « Elle fixera les balises au Canada pour toute personne à l'esprit tordu et obnubilée par un sentiment de vengeance qui voudrait mettre en péril la sécurité de nos institutions et la survie de la population. »

« Nous sommes possiblement en présence du crime le plus grave des annales judiciaires au Canada, en termes de répercussions. Quel autre dossier peut toucher plus de 8 millions de victimes ? » - Me Steve Baribeau, procureur de la Couronne

BELLIQUEUX ET MENAÇANT

Le procureur de la Couronne a aussi estimé que les perspectives de réhabilitation de Normand Dubé étaient très faibles. Pour démontrer son caractère colérique et revanchard, il a fait témoigner l'enquêteur Marc Lalonde, qui a trouvé dans l'ordinateur de l'accusé des dossiers qu'il conservait sur une trentaine de personnes avec qui il était en conflit : fonctionnaires municipaux, évaluateurs, douaniers, huissiers, avocats et hommes et femmes d'affaires.

Il avait maille à partir, par exemple, avec le service fédéral des douanes, dans le cadre de l'importation d'hélicoptères, et avec la municipalité de Sainte-Anne-des-Plaines, pour des questions d'évaluation municipale. Il amassait alors des informations personnelles sur des employés (photos de leur résidence et véhicule, numéro de téléphone personnel, évaluation de la propriété), en les qualifiant de « trous de cul » dans ses documents.

Il conservait aussi des enregistrements de ses conversations avec certains employés. Dans des extraits audio entendus au tribunal, on l'entend proférer des menaces et insultes à l'endroit d'un employé du service des douanes. « L'ostie de porc frais, s'il faut que j'aille le voir chez eux, j'ai aucun problème avec ça, vocifère Normand Dubé. Le gros, je suis capable d'aller chez eux directement. Je sais où il reste. Ça pourrait être après le souper. La vengeance, c'est un plat qui se mange froid, pis tout le monde va manger. »

Le décrivant comme « hautement perturbé et calculateur », Me Baribeau est d'avis que les chances de réhabilitation de M. Dubé sont faibles.

PAS DU TERRORISME

L'avocat de Normand Dubé, Me Maxime Chevalier, estime quant à lui que les actes reprochés à l'accusé ne constituent pas du terrorisme. « Le terrorisme doit avoir un objectif ou une cause de nature politique, religieuse ou idéologique. Il n'y a rien de ça dans le dossier », a-t-il souligné.

« Cet argumentaire contribue seulement à dépeindre l'accusé comme un monstre ou une personne dangereuse, en juxtaposant le nom de Normand Dubé avec le terme terroriste. » - Me Maxime Chevalier, avocat de Normand Dubé

Il estime qu'une peine de prison de deux ans, suivie de trois ans de probation, serait appropriée, compte tenu des actes qui sont reprochés à M. Dubé.

Il rappelle que l'homme a passé près de six mois en détention après son arrestation, dont une bonne partie en isolement, qu'il a attrapé une grave infection en prison et qu'il a perdu tous ses clients depuis les accusations, notamment en raison d'une interdiction de vol.

Le juge Chevalier doit rendre sa décision au sujet de la peine que devra purger M. Dubé au début du mois de décembre.