Le policier qui a arrêté le suspect dans l'attaque au camion-bélier à Toronto hier a agi dans les règles de l'art, selon l'ancien directeur du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) Marc Parent. Le chef de direction aux Commissionnaires du Québec a accepté de décortiquer l'intervention avec La Presse pour permettre de mieux comprendre pourquoi l'agent torontois n'a jamais ouvert le feu alors que l'individu se montrait menaçant.

LE FACE-À-FACE

Les vidéos captées par des passants permettent de constater que la camionnette blanche, dont le pare-chocs est lourdement endommagé, finit par s'immobiliser sur le trottoir. Une voiture de police se gare en parallèle, à quelques mètres. Pendant que le chauffeur descend de la camionnette, un policier se tient légèrement accroupi derrière sa voiture de patrouille, tenant le suspect en joue et lui intimant l'ordre de se coucher au sol. « Il a une couverture. C'est important parce que tu achètes du temps et une protection. Tu retardes la menace vers toi. C'est un élément tactique très important », observe Marc Parent.

EN CONTRÔLE

« Tue-moi ! Tire-moi dans la tête ! » À plusieurs reprises, on entend le suspect crier au policier de le tuer. À quelques reprises, on voit même l'homme descendre sa main droite vers sa ceinture et la remonter rapidement en pointant le policier face à lui d'un objet sombre. Mais l'agent n'ouvre pas le feu. « Un des premiers facteurs à considérer, c'est de savoir si le policier craint pour la vie de quelqu'un ou sa propre vie, ce qui l'obligerait à faire feu. On peut en déduire qu'il se sentait en contrôle de la situation et que sa vie n'était pas menacée parce qu'il n'a pas vu d'arme blanche ou d'arme à feu », analyse Marc Parent.

SUICIDE PAR POLICIER

L'ex-directeur du SPVM voit d'ailleurs dans les cris répétés du suspect invitant le policier à le tuer un indice supplémentaire. « Quand il dit : ‟tire-moi", c'est ce qu'on appelle un ‟suicide provoqué par un policier". C'est quelque chose auquel on fait parfois face en Amérique », note M. Parent.

RÉDUIRE LE STRESS

Après une trentaine de secondes de face-à-face, le policier tente de calmer la situation pour éviter une escalade des tensions. Tout en maintenant le suspect en joue, il prend le temps d'ouvrir la portière de sa voiture de patrouille pour arrêter le cri strident de sa sirène. « C'est pour mieux communiquer avec l'individu. Ça peut aussi enlever un élément de stress », poursuit M. Parent.

COMMUNICATION

L'arrêt de la sirène permet en effet aux échanges d'être un peu plus poussés. Le policier continue à donner l'ordre de se coucher, tandis que l'homme tente à nouveau de le convaincre de faire feu. « J'ai une arme dans mes poches », finit par lancer le suspect. La réponse du policier lui permet alors probablement de comprendre que l'agent n'a pas mordu à l'hameçon et qu'il ne compte pas le tuer : « Je m'en fous, couche-toi. »

ARME INTERMÉDIAIRE

Le suspect change alors d'approche et commence à avancer vers l'agent de façon menaçante, toujours en le pointant du bras. Le policier recule, maintenant une distance sécuritaire entre le suspect et lui. Il en profite toutefois pour saisir un objet à sa ceinture, probablement son bâton télescopique. « Quand un policier déploie son bâton, ça fait un bruit et c'est intimidant. Ça envoie un message : on passe à une autre étape », résume Marc Parent. Ce dernier note que la vue de l'arc électrique d'un pistolet à impulsion peut avoir le même effet. La tactique porte ses fruits parce que l'attitude du suspect change du tout au tout. Il cesse d'avancer, lève ses mains en l'air, pour ensuite se coucher au sol, où l'agent lui passe les menottes.

FORCE PROPORTIONNELLE

Pour Marc Parent, nul doute que cette intervention servira de référence dans la formation des policiers, ce type d'arrestation étant extrêmement délicat. « C'est le genre de chose qu'on pratique très tôt dans la formation d'une recrue et qu'on va cibler dans nos mises à jour des policiers. L'agent ne s'est jamais senti menacé parce qu'il a pris les dispositions pour bien se protéger jusqu'à la fin de l'intervention. Il a toujours communiqué avec l'individu pour le raisonner et le faire obtempérer. C'est une intervention qui va servir de référence. » Lors d'un point de presse en soirée, le chef de police torontois Mark Saunders a d'ailleurs vanté le sang-froid de son policier, qui a six ans d'expérience.

photo tirée d’une vidéo

Capture d'ecran de la video de l'arrestation du suspect de l'attaque a la camionnette a Toronto le 23 avril 2018.

photo tirée d’une vidéo

Capture d'ecran de la video de l'arrestation du suspect de l'attaque a la camionnette a Toronto le 23 avril 2018.