Les pompiers qui se sont attaqués au brasier sur l'épave du Kathryn Spirit, la semaine dernière à Beauharnois, ont été largement contraints à l'improvisation.

Selon le service de la sécurité incendie de Beauharnois, l'entreprise chargée par Ottawa de démanteler le bateau ne lui a jamais remis de plan d'intervention d'urgence. Elle devait pourtant en produire un avant le commencement des travaux, selon l'appel d'offres public qui a mené à l'attribution d'un contrat de 11 millions. La démolition du navire a commencé au tournant de l'année 2018.

Le Kathryn Spirit est stationné sur les berges du lac Saint-Louis depuis 2011. Voilà des années que les résidants du coin redoutent une catastrophe environnementale vu les matières dangereuses qu'il contenait, comme des BPC, de l'amiante, du mercure et du plomb. Le gouvernement fédéral assure que la décontamination est complète, mais on trouve toujours à bord des résidus de produits pétroliers dans des zones impossibles d'accès pour le nettoyage.

Un incendie s'est déclaré la semaine dernière dans la salle des machines lorsqu'une étincelle est entrée en contact avec une surface souillée.

À l'arrivée des services d'urgence, les pompiers n'avaient aucune idée que des hydrocarbures se trouvaient encore à bord. Ils ont donc entrepris d'attaquer les flammes avec de l'eau. Constatant l'inefficacité du procédé, ils ont recouru à de la mousse et ont pris le dessus sur le brasier.

En outre, les pompiers ont constaté sur les lieux qu'ils ne pouvaient pas s'approvisionner en eau dans le lac Saint-Louis en raison de la digue provisoire - ou batardeau - qui avait été installée pour que le bateau soit tenu au sec le temps des travaux.

Jean-Maurice Marleau, directeur de la sécurité incendie et civile de Beauharnois, a indiqué à La Presse qu'un plan de mesures d'urgence devrait finalement lui être remis au début de la semaine prochaine.

« On veut savoir l'état d'avancement des travaux, quelles parties sont démolies, avoir le plan du navire et le nom d'une personne responsable qu'on peut joindre 24 heures sur 24. » - Jean-Maurice Marleau

M. Marleau a en effet souligné que si l'incendie avait eu lieu en pleine nuit, ses hommes et lui n'auraient eu accès à aucune personne-ressource pour les guider sur le navire - la semaine dernière, comme l'intervention a été faite pendant la journée, ils ont pu être guidés par le surintendant du chantier.

On l'a aussi informé que des gicleurs seraient installés sur le chantier, et qu'on utiliserait désormais de l'outillage pneumatique plutôt que des torches à acétylène pour procéder au découpage des parois métalliques. Un surveillant sera désormais posté en tout temps dans la salle des machines.

On installera en outre des bornes sèches, soit des tuyaux permettant aux services d'urgence de s'approvisionner en eau dans le lac.

EN TOUTES LETTRES

Dans l'appel d'offres lancé l'été dernier par le gouvernement fédéral, il est écrit que le plan de gestion de projet « doit être fourni au représentant ministériel dans les 30 jours ouvrables avant le début des travaux [et] doit comprendre un plan d'intervention d'urgence en cas de [...] tout événement pouvant poser un risque ou un danger pour les travailleurs ou pour l'environnement ».

C'est la coentreprise DJV, constituée de la firme Englobe, de Québec, et d'Excavation René St-Pierre, de Sherbrooke, qui a décroché le contrat d'une valeur de 11 millions.

Englobe n'a pas souhaité répondre aux questions de La Presse, et nous a dirigé vers Services publics et Approvisionnement Canada, qui a attribué le contrat. Excavation René St-Pierre n'a pas répondu à notre appel.

La Garde côtière canadienne, qui assure le suivi des travaux de démolition depuis qu'Ottawa a pris le projet en main en 2016, a indiqué à La Presse que l'entrepreneur avait remis « les plans du site, du bateau et des mesures d'urgence au directeur de la sécurité incendie et civile de la Ville de Beauharnois le 14 décembre 2017 ». Jean-Maurice Marleau est toutefois catégorique : il a reçu les plans, mais pas le cartable contenant les mesures d'urgence.

La Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) a toutefois affirmé à La Presse qu'une procédure d'évacuation était en place et que les travailleurs l'avaient bien respectée.

« IRRESPONSABLE »

Députée néo-démocrate de Salaberry-Suroît, Anne Minh-Thu Quach suit le dossier du Kathryn Spirit depuis des années.

À deux reprises cette semaine, elle a interpellé le gouvernement libéral à la Chambre des communes et réclamé une enquête sur l'incendie. Dans les deux cas, la réponse, laconique, faisait état d'« un petit incendie » et rappelait que personne n'a été blessé et qu'« aucune pollution n'a été observée ».

« Le gouvernement agit de manière irresponsable et laxiste, c'est la vie des gens qui est en danger », a dit Mme Quach en entrevue avec La Presse, en dénonçant qu'« une entreprise aussi cavalière soit payée par des fonds publics ». « Tout le monde veut que le bateau parte, mais pas de n'importe quelle manière. »

Bruno Tremblay, maire de Beauharnois, commence lui aussi à être à bout de patience. « Dans une certaine mesure, c'est nous qui avons écopé », a-t-il dit, même si la Ville n'est plus responsable du dossier depuis que le fédéral a pris la relève.

Si l'échéancier fourni par DJV est respecté, tous les travaux devraient être terminés à la fin de l'année 2018.

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PAS DE MATIÈRES DANGEREUSES À BORD


À la suite de l'incendie, des pompiers avaient manifesté des inquiétudes quant à la présence de matières dangereuses qui auraient pu brûler dans l'incendie. La Garde côtière canadienne a toutefois écrit à La Presse qu'il n'y avait plus d'amiante ni de BPC à bord, et que « tous les éléments contenant du mercure ont été retirés du navire avant le feu ». Quant à la peinture contenant des traces de plomb, l'entrepreneur n'est pas tenu de l'éliminer « directement au site si l'entreprise de recyclage qui recevra les débris d'acier détient toutes les autorisations pour les traiter ». Par ailleurs, selon Jean-Maurice Marleau, toutes les tenues de combat des pompiers ont été nettoyées de la suie et des traces de mazout qu'elles contenaient, et on lui a confirmé qu'elles n'auraient pas besoin de subir une décontamination.