Ils croyaient avoir découvert la faille ultime qui permettait de frauder impunément en traversant la frontière américaine. Mais plutôt que de s'enrichir, quatre étudiants québécois ont goûté à la prison aux États-Unis et imposé un lourd fardeau financier à leurs parents afin de pouvoir rembourser 23 institutions financières dans six pays.

Un jugement du juge américain Geoffrey W. Crawford a mis un point final au feuilleton judiciaire du groupe, peu avant les Fêtes, en imposant une peine au dernier des coaccusés.

Les agents du département de la Sécurité intérieure des États-Unis avaient arrêté le quatuor à la fin d'octobre 2016. Une perquisition dans un petit entrepôt loué par leur leader à Burlington, au Vermont, avait permis de découvrir 33 500 $US en billets de 20 $, un lecteur/encodeur de cartes magnétiques, ainsi que près de 400 cartes-cadeaux de restaurants comme Subway et Dunkin' Donuts, avec des chiffres inscrits dessus au marqueur.

Selon la preuve déposée en cour et consultée par La Presse, les enquêteurs ont déterminé que ces cartes avaient été utilisées pour y encoder les données de cartes de crédit ou de débit clonées par le groupe au Québec.

Les quatre étudiants avaient attiré l'attention lors de leurs passages à la frontière. Les douaniers avaient notamment constaté qu'ils voyageaient avec des listes de numéros de cartes, de l'argent comptant, ainsi qu'avec la facture du fameux lecteur/encodeur de cartes magnétiques.

FACEBOOK

Safwan Bensalma

Vague de fraudes

Pendant ce temps, les banques de la région de Burlington rapportaient des centaines de fraudes ou tentatives de fraude à l'aide de cartes de crédit ou de débit canadiennes clonées. Un guichet a été ciblé à lui seul pour des retraits de 54 000 $US.

Les enquêteurs américains ont compris ce qui se passait. Les étudiants utilisaient une vulnérabilité du système bancaire américain.

Entre 2007 et 2015, le Canada s'est converti aux cartes à puce, qui préviennent les fraudes en générant à chaque transaction un code unique non réutilisable. Cette technologie plus coûteuse commence à peine à être utilisée aux États-Unis, où il a été difficile de mobiliser l'industrie en sa faveur.

Les guichets automatiques y fournissent encore des avances de fonds en lisant la bande magnétique à l'arrière d'une carte, très facile à copier. Il est tentant pour des criminels canadiens de copier des cartes sur support magnétique et d'aller les utiliser aux États-Unis.

Après leur arrestation, Nicolau Manfredi, un étudiant de l'UQAM de 21 ans, Brando Lo, un étudiant de l'Université de Montréal de 24 ans, et Safwan Bensalma, un étudiant de HEC Montréal de 21 ans, avaient passé deux bonnes semaines en prison au sud de la frontière.

Pour recouvrer leur liberté dans l'attente de leur procès, ils avaient dû compter sur leurs familles qui avaient versé d'importantes cautions de plusieurs dizaines de milliers de dollars.

Le quatrième comparse, Mathieu Baaklini, un étudiant de l'Université de Montréal de 21 ans, avait eu beaucoup plus de mal. Les soupçons qui pesaient sur lui étaient plus lourds. Il avait transféré des fonds à un autre fraudeur bien connu à Montréal. Il était aussi soupçonné d'avoir fraudé par téléphone une dame âgée de Houston qui n'avait plus toute sa tête et qui lui avait transféré 40 000 $ vers son compte bancaire québécois, sans qu'il puisse expliquer pourquoi. Même s'il n'avait pas été accusé, faute de preuve, d'une intention criminelle, les autorités américaines retenaient cette histoire contre lui, selon les documents déposés à la cour.

Sa caution a été fixée à 250 000 $US, soit 312 000 $CAN. Sa mère, secrétaire dans un hôpital, et son père, chauffeur de taxi, ont utilisé toutes leurs économies et contracté une marge de crédit, en plus de solliciter tous les membres de la famille. Sans succès. Ils n'ont pu amasser que 98 000 $US. Il a fallu attendre février 2017 pour que le juge accepte d'abaisser le montant de sa caution et de le libérer dans l'attente du procès.

FACEBOOK

Nicolau Manfredi

Ils plaident coupable

L'été dernier, les quatre accusés se sont entendus avec la poursuite pour plaider coupable en vertu d'un accord négocié.

Nicolau Manfredi, Brando Lo et Safwan Bensalma ont été condamnés au temps déjà purgé en détention provisoire et à un remboursement de 10 000 $ chacun aux banques flouées.

Mathieu Baaklini, lui, a écopé de 24 mois de prison, moins les 4 mois déjà purgés dans l'attente de sa caution. Le site du Bureau fédéral des prisons américaines indique qu'il est présentement détenu à la prison privée de Philipsburg, en Pennsylvanie, et que sa date de libération prévue est le 21 juillet prochain.

Son avocat, Gregory Waples, a toutefois confié à La Presse qu'il pourrait se voir créditer environ 115 jours de détention pour bonne conduite «s'il se comporte bien en prison».

Le jeune homme a aussi été condamné à restituer 99 000 $ aux institutions financières victimes des fraudes.

La Banque Nationale, la CIBC, la Banque TD, la Banque de Montréal, le Mouvement Desjardins, la Banque Scotia et la Banque Royale font partie du lot, comme des institutions de Virginie, de l'État de New York, du Vermont, de Californie, du Delaware, de Belgique, de France, de Suède et du Royaume-Uni.

FACEBOOK

Brandon Lo