L'aspirant-parrain Salvatore Montagna, assassiné en novembre 2011 à Charlemagne, aurait augmenté une taxe imposée par la mafia aux entrepreneurs en construction après son arrivée au Québec, au printemps 2009.

C'est du moins ce que révèle une conversation impliquant le mafieux tué lundi à Montréal, Tonino Callocchia. L'enregistrement de cette discussion devait être utilisé comme preuve contre lui dans un procès pour intimidation et tentative d'extorsion à l'endroit d'une ancienne associée du caïd Raynald Desjardins.

Dans sa conversation avec l'ingénieure Marlène Girard, que cette dernière a enregistrée à son insu et dont La Presse a obtenu des extraits, Callocchia affirme que Montagna allait réclamer «2,50$» de plus à tous les entrepreneurs, sans toutefois donner plus de précision sur cette hausse de taxe qui s'apparente à un pizzo.

Montagna, ancien chef par intérim du clan Bonanno de New York, a été expulsé des États-Unis vers le Canada en avril 2009. Peu après son arrivée à Montréal, il s'est rapproché de certains mafieux établis et s'est imposé comme un chef. Il s'est allié avec d'autres organisations mafieuses dans le but de renverser les Rizzuto, qui s'accrochaient au pouvoir, bien qu'affaiblis par l'opération Colisée et des dissidences.

Mais l'alliance fragile de chefs rebelles a éclaté en 2011. Selon une théorie de la police, un conflit a alors éclaté entre les clans de Raynald Desjardins et de Montagna. Ce dernier a été tué en novembre 2011. Un mois plus tard, Desjardins et ses présumés complices ont été arrêtés et accusés de ce meurtre. Le procès devrait avoir lieu en 2015.

«Très triste»

Dans sa conversation avec Mme Girard, qui a lieu au printemps 2013 dans un restaurant de Pointe-aux-Trembles, Callocchia revient sur l'époque de la révolte contre les Rizzuto. Il dit que les chefs de clans qui se sont entretués étaient des amis depuis 35 ans, «comme des frères et des soeurs, et qu'un jour, certains ont décidé de faire leurs propres affaires, que ce fut perçu comme un viol, que des gens sont morts ou devenus handicapés, que des familles ont perdu des pères et des fils, et que beaucoup de gens ont pleuré».

«C'est une histoire qui est très triste, c'est pas encore fini», dit-il, comparant la situation au goût d'un aliment amer qui peut rester dans la bouche très longtemps.

Il fait également référence aux enfants de Raynald Desjardins - «qui ont grandi avec nos enfants» - et invite le caïd à appeler son compare  pour régler ses affaires.

Callochia parle aussi des frères Arcuri, propriétaires de l'entreprise Ital-Gelati, soupçonnés d'avoir pris part à la tentative de putsch contre les Rizzuto, et dit d'eux qu'ils sont maintenant personae non gratae. «Il n'y a plus personne qui achète de la crème glacée», dit Callocchia, ajoutant que son groupe réclame de l'argent à Domenico Arcuri, mais que ce dernier, qui n'est pas en ville, ne veut pas le rencontrer.

À ces mots, Marlène Girard prend son téléphone et appelle Domenico Arcuri. Elle tend ensuite l'appareil à Callocchia, qui s'entretient alors avec l'homme d'affaires.

Il dit à Domenico Arcuri que des paiements qui devaient être effectués n'ont pas été faits, que des entreprises veulent être payées. Il ajoute qu'il est prêt à le rencontrer en tant que «comptable», qu'il peut aller le rejoindre partout dans le monde mais pas aux États-Unis, «parce que les Américains ne veulent pas le voir».

L'argent de Carboneutre

Les créances évoquées par Callocchia concernent la firme de décontamination Carboneutre, dans laquelle Raynald Desjardins, Domenico Arcuri et plusieurs hommes d'affaires de leur entourage s'étaient impliqués en 2008-2009. L'aventure s'était terminée en fiasco.

Lorsqu'il rencontre Marlène Girard en 2013, il semble croire qu'à titre de gestionnaire de Carboneutre, elle est encore en contact avec Raynald Desjardins et qu'elle pourrait aider plusieurs investisseurs à récupérer leur argent investi dans la firme de décontamination.

Il dit que certains de ceux qui ont investi dans Carboneutre doivent plus de 1 million à «nous autres», sans préciser exactement à qui il fait référence. Il dit simplement représenter «la communauté italienne» et laisse entendre qu'il pourrait «péter les dents» de Mme Girard.

Cette dernière répond qu'elle ne doit rien à personne et n'a jamais été impliquée dans la «magouille» autour de Carboneutre. «Je ne suis pas dans la mafia, moi», insiste-t-elle.

Vers la fin de la conversation, Callocchia dit de façon presque prémonitoire qu'il est un messager,  et que parfois, on tire sur un messager.