Son arrestation aura été rocambolesque, à l'image de sa carrière controversée aux côtés des grands de ce monde: l'ancien patron du Centre universitaire de santé McGill (CUSM) Arthur Porter a été épinglé de justesse au Panama, lundi, après une tentative de fuite qui a bien failli réussir.

Le célèbre médecin, accusé d'avoir accepté des millions de dollars en pots-de-vin pour favoriser SNC-Lavalin dans la course au contrat de construction du mégahôpital, était sous le coup d'un mandat d'arrestation depuis février dernier pour fraude, complot, abus de confiance, commissions secrètes et blanchiment d'argent.

Habitant aux Bahamas et se disant aux prises avec un grave cancer du poumon, il semblait temporairement hors d'atteinte pour les policiers québécois de l'Unité permanente anticorruption. Une demande d'extradition avait été présentée aux autorités du petit paradis fiscal, sans produire de résultats immédiats.

Arrêté à l'arrivée

Mais une chance s'est présentée lundi, alors qu'Arthur Porter et sa conjointe Pamela Mattock se sont rendus en voyage au Panama. En vertu d'une demande des policiers canadiens à Interpol, la police panaméenne l'a immédiatement arrêté à son arrivée au pays.

Selon ce qu'a appris La Presse, Arthur Porter a alors tenté de s'en sortir grâce à son statut privilégié auprès du gouvernement de son pays natal, la république de la Sierra Leone. Porter a été conseiller spécial du président Ernest Koroma et, à Montréal, il portait le titre de consul honoraire du petit pays africain. Même aux Bahamas, le drapeau de la Sierra Leone flottait devant sa maison.

Le médecin a donc exhibé un passeport diplomatique sierra-léonais aux policiers panaméens et a exigé d'être libéré en vertu d'une prétendue immunité diplomatique. Les policiers, impressionnés, ont accepté de le laisser repartir, selon nos sources.

Dans une ultime tentative de fuite, Arthur Porter a alors tenté d'embarquer dans un avion en direction de Trinidad, un autre paradis fiscal des Caraïbes où il était impliqué dans un projet de clinique privée.

Entre-temps, quelqu'un a fait réaliser aux policiers panaméens qu'ils étaient en train de laisser filer un important suspect et les a convaincus de réagir. Ils ont finalement arrêté de nouveau le médecin, pour de bon cette fois, avant que son avion ne décolle.

Le Dr Porter avait quitté le Canada peu après sa démission-surprise du CUSM, en décembre 2011. On ignore pour l'instant la raison de sa présence au Panama.

Sa conjointe Pamela Mattock, qui n'avait jamais été mentionnée dans les mandats d'arrestation jusqu'ici, a été arrêtée elle aussi au Panama lundi. Dans une communiqué de presse, l'UPAC indique qu'elle fera face à des accusations de recyclage des produits de la criminalité.

Mme Mattock avait récemment vendu pour un million de dollars un luxueux condo appartenant au couple, dans le centre-ville de Montréal.

L'ancien PDG de SNC-Lavalin, Pierre Duhaime, et l'ancien bras droit de Porter, Yanai Elbaz, avaient déjà été arrêtés dans l'affaire du contrat de construction du CUSM et des 22,5 millions de paiements douteux visant à l'obtenir. Ils sont en attente de leur procès, tout comme Jeremy Morris, un financier des Bahamas accusé d'avoir facilité les transferts d'argent entre les complices.

Souffrant

En mars, Arthur Porter avait reçu La Presse dans sa résidence des Bahamas pour une entrevue d'une trentaine de minutes. Se disant très souffrant à cause d'un cancer, il semblait très affaibli. Il nous avait toutefois été impossible de vérifier la fiabilité de son autodiagnostic.

Porter avait assuré que le contrat du CUSM n'avait pas été truqué. Il n'avait pas renoncé à l'idée de venir se défendre au Québec un jour. « Je n'aime pas salir les gens. Mais si j'ouvrais mes papiers, je pourrais causer tout un tapage au Canada », avait-il déclaré.

Lundi, alors que la nouvelle de l'arrestation du couple faisait la manchette dans les médias canadiens, leur fille Adina, une jeune avocate dans la vingtaine, était seule dans leur maison des Bahamas. «Évidemment, c'est un choc... Je ne sais pas quoi faire, je suis toute seule maintenant», a-t-elle laissé tomber, la voix tremblante, lorsque jointe par La Presse.



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Chronologie

Arthur Porter, l'ex-directeur général du Centre universitaire de santé McGill (CUSM)

AVRIL 2004

Arthur Porter est nommé directeur général du Centre universitaire de santé McGill (CUSM).

SEPTEMBRE 2008

Arthur Porter est nommé au Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSAR) par le gouvernement conservateur. Il deviendra président de l'organisme deux ans plus tard.

AVRIL 2009

Le vérificateur Renaud Lachance dénonce la hausse des estimations de coûts de construction des nouvelles installations du CUSM en partenariat public-privé.

AVRIL 2010

Le consortium formé de SNC-Lavalin et d'Innisfree remporte le contrat pour les nouvelles installations du CUSM.

AOÛT 2010

Un organisme à but non lucratif affilié au CUSM achète du promoteur immobilier Vincent Chiara l'édifice du 1750, avenue Cedar. L'édifice se révélera inutilisable.

NOVEMBRE 2011

Arthur Porter démissionne du CSAR après que Le National Post eut dévoilé ses liens avec un ex-marchand d'armes controversé. Le sénateur conservateur David Angus, président du conseil d'administration du CUSM, révèle que Porter lui a proposé de le faire nommer consul honoraire de la Sierra Leone à Montréal, ce qui l'aurait placé en conflit d'intérêts.

DÉCEMBRE 2011

Arthur Porter démissionne du CUSM quatre mois avant la fin de son mandat.

JANVIER 2012

Des allégations de fraude visent l'ancienne directrice des ressources humaines du CUSM, congédiée pour irrégularités.

SEPTEMBRE 2012

La Presse révèle qu'Arthur Porter a utilisé les ressources du CUSM pour mener des transactions personnelles. Le ministère de la Santé passe ses livres au peigne fin.

OCTOBRE 2012

La Presse révèle que des dirigeants de SNC-Lavalin ont autorisé des paiements douteux de 22,5 millions à un mystérieux « agent « qui devait les aider à mettre la main sur le contrat du CUSM. Un ex-haut dirigeant du CUSM dépose une poursuite pour qu'on lui paye les 200 000 $ promis par Porter en frais de consultant.

NOVEMBRE 2012

L'Université McGill dépose une poursuite alléguant qu'Arthur Porter l'a flouée de plus de 300 000 $. Pierre Duhaime, ancien PDG de SNC-Lavalin, est arrêté par l'Unité permanente anticorruption (UPAC) pour fraude dans le dossier de la construction des nouvelles installations du CUSM.

DÉCEMBRE 2012

Le rapport Baron révèle l'ampleur du gouffre financier du CUSM.

JANVIER 2013

La Banque Nationale poursuit Arthur Porter et son épouse Pamela Mattock pour récupérer un prêt de 799 649 $.

Arthur Porter affirme être atteint d'un cancer.

FÉVRIER 2013

Arrestation de Yanaï Elbaz, un ex-cadre du CUSM.

Pierre Duhaime, l'ex-PDG de SNC-Lavalin, se rend aux enquêteurs de la Sûreté du Québec. Il est accusé de fraude, complot pour fraude, fraude envers le gouvernement, abus de confiance, commissions secrètes et recyclage des produits de la criminalité en lien avec le CUSM.

MARS 2013

Jeremy Morris, de la firme Sierre Asset Management, est épinglé par la Sûreté du Québec à l'Aéroport international Pierre-Elliott-Trudeau. Il fait face à diverses accusations de fraude dans le dossier du CUSM.

AVRIL 2013

Arrestation de l'avocat Yohann Elbaz, le frère de Yanaï Elbas. Il fait face à 16 chefs d'accusation dans le dossier du CUSM.