SNC-Lavalin poursuit son ancien PDG Pierre Duhaime et lui réclame des millions en dommages parce qu'elle lui reproche d'avoir causé du tort à l'entreprise en fermant les yeux sur la corruption.

L'attitude de M. Duhaime «a emmené les plaignants à être liés dans l'opinion publique avec des individus qui ont été accusés ou condamnés pour des infractions criminelles, ternissant ainsi l'excellente réputation dont jouissaient les plaignants au Québec et à travers le monde», écrivent les avocats de SNC-Lavalin dans leur poursuite déposée à la Cour supérieure et obtenue par La Presse.

Les réclamations de l'entreprise concernent le dossier du Centre universitaire de santé McGill (CUSM), et non les accusations de corruption en Libye qui sont toujours pendantes devant les tribunaux.

Dans l'affaire du CUSM, SNC-Lavalin avait versé 22,5 millions en pots-de-vin pour remporter le contrat de construction du CUSM à Montréal. M. Duhaime a reconnu qu'il était au courant du fait qu'un de ses subalternes parlait à un dirigeant du CUSM pendant le processus d'appel d'offres et qu'il avait «omis délibérément de se renseigner à cet égard».

M. Duhaime a plaidé coupable à l'accusation d'avoir aidé un fonctionnaire à commettre un abus de confiance et il a écopé d'une peine de 20 mois à purger à la maison.

Or, pour SNC-Lavalin, le versement des 22,5 millions en pots-de-vin était un «détournement de fonds» dont l'entreprise a beaucoup souffert.

«Le détournement a causé des pertes pécuniaires à SNC-Lavalin et a porté atteinte à sa réputation, en particulier dans la province de Québec», peut-on lire dans la poursuite.

SNC-Lavalin poursuivait déjà en dommages deux autres de ses anciens cadres, Riadh Ben Aissa et Stéphane Roy, ainsi que les autres acteurs du scandale du CUSM. L'entreprise a toutefois amendé sa requête pour y ajouter Pierre Duhaime à la suite de sa condamnation.

«Mauvaise foi»

Lorsqu'il a quitté l'entreprise le 25 mars 2012, Pierre Duhaime a conclu un arrangement de départ qui prévoyait qu'on lui verse 5 millions à terme. Mais son ancien employeur affirme maintenant que M. Duhaime était «de mauvaise foi» lors de la signature de l'entente, car il a refusé de dévoiler son crime.

«Si SNC-Lavalin avait eu connaissance d'une telle infraction criminelle, elle aurait congédié le défendant Duhaime pour cause et n'aurait jamais conclu l'entente du 25 mars», lit-on dans la poursuite.

SNC-Lavalin réclame donc que Pierre Duhaime lui rembourse 1 million de dollars qui lui ont déjà été versés sur les 5 millions prévus à son entente de départ.

L'arrangement de M. Duhaime prévoyait aussi que l'entreprise payerait ses frais d'avocats en lien avec toute affaire découlant de l'exercice de ses fonctions de PDG. C'est ce qu'a fait l'entreprise. Mais maintenant que M. Duhaime a été reconnu coupable, SNC-Lavalin veut se faire rembourser la somme de 1,2 million qu'elle a dû débourser pour la représentation de l'ancien dirigeant devant les tribunaux.

SNC-Lavalin demande aussi à la Cour de condamner Pierre Duhaime ainsi que tous les autres acteurs du scandale du CUSM à rembourser solidairement les 22,5 millions payés en pots-de-vin, ainsi que la somme de 12,5 millions représentant les dommages à la réputation de l'entreprise. Elle demande aussi que Pierre Duhaime paye personnellement 5 millions en dommages punitifs.

Lors de l'imposition de sa peine, le mois dernier, M. Duhaime avait fait valoir à la cour qu'il était incapable de trouver un emploi lié à ses compétences puisqu'il avait été «mis au ban de la communauté des affaires». Il prétendait aussi que son ancien employeur retenait le versement de 10 millions auquel il croyait avoir droit, incluant des fonds liés à sa retraite.

Joint hier soir, le porte-parole de Pierre Duhaime, Gilles Corriveau, a préféré ne pas commenter la poursuite contre son client.

- Avec la collaboration de Francis Vailles, La Presse