Marco Berardini, le coiffeur et maquilleur qui a dénoncé à visage découvert il y a plus d'un an les inconduites sexuelles d'Éric Salvail, se réjouit de l'arrestation de l'animateur et producteur, survenue hier à Montréal.

« Beaucoup de gens au Québec craignaient qu'il revienne à la télévision. Mais comment un tel prédateur sexuel aurait-il pu se réhabiliter en un an ? a dit M. Berardini, en entrevue avec La Presse. Personnellement, j'avais peur qu'il revienne en ondes, et que ces comportements se reproduisent, un an ou deux plus tard. »

La comédienne Danielle Ouimet, proche de Salvail, avait ouvertement prédit son retour éventuel. « Éric est un gars intelligent. À mon avis, il va revenir plus fort. Repentant, mais plus fort », avait-elle déclaré en mars à Échos-Vedettes.

Quinze moins après son témoignage, qui a mené, avec plusieurs autres, à la chute d'Éric Salvail, Marco Berardini est heureux d'avoir parlé.

« J'ai essayé de donner le courage à d'autres personnes de porter plainte à la police. J'ai essayé de leur montrer que la souffrance qu'ils ont vécue, elle était réelle et qu'il devait y avoir une conséquence. » - Marco Berardini

Lui-même n'a pas porté plainte à la police, jugeant que son cas relevait davantage du harcèlement sexuel que de l'agression.

Trois accusations

M. Salvail a été arrêté hier à Montréal à la suite d'un mandat lancé par le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), qui énumérait trois accusations, notamment celle d'agression sexuelle, pour des faits qui remontent à 1993.

« Il s'est présenté dans un poste et a été relâché avec promesse de comparaître », a indiqué le porte-parole du Service de police de la Ville de Montréal, Raphaël Bergeron. Éric Salvail devra donc comparaître le 15 février.

Selon le mandat d'arrestation lancé par le DPCP en date d'aujourd'hui, les faits qu'on reproche à l'animateur se seraient produits sur une période de six mois, entre avril et novembre 1993.

Éric Salvail aurait harcelé le plaignant, qui répond aux initiales de D. D., « ayant pour effet de lui faire raisonnablement craindre pour sa sécurité ou celle d'une de ses connaissances ». Il aurait également séquestré, emprisonné ou saisi de force le plaignant et l'aurait agressé sexuellement.

Ces faits seraient donc survenus au tout début de la carrière d'Éric Salvail.

Ce dernier a commencé sa carrière à la télévision comme animateur de foule pour l'émission de Julie Snyder L'enfer c'est nous autres, diffusée à Radio-Canada. À cette époque, il a également oeuvré sur les plateaux de Moi et l'autre, Chabada, Le poing J, La petite vie, L'Écuyer et La fin du monde est à sept heures.

Selon nos informations, les cas d'autres plaignants ont été examinés par le DPCP. Au moins un autre avait d'abord été jugé recevable, avant d'être finalement écarté, au printemps dernier. Au bout du compte, comme dans le cas de Gilbert Rozon, c'est la plainte d'une seule présumée victime qui a été retenue. Toujours comme dans le cas Rozon, ce plaignant n'a jamais raconté son histoire publiquement. En date de mai dernier, 12 plaintes avaient été déposées à la police contre Éric Salvail.

Vingt ans d'inconduites sexuelles

En octobre 2017, La Presse avait recueilli les témoignages de 11 ex-collaborateurs d'Éric Salvail, qui lui reprochaient de s'être livré à de nombreuses inconduites sexuelles au cours des deux dernières décennies.

Le coiffeur et maquilleur Marco Berardini, installé depuis de nombreuses années à Los Angeles, avait notamment raconté avoir fait l'objet d'avances insistantes en 2003 lors d'une visite chez Éric Salvail, qui le consultait pour des motifs professionnels. M. Salvail avait paradé en sous-vêtements devant lui.

D'autres collaborateurs avaient indiqué avoir été victimes ou témoins de propos ou de gestes déplacés de l'animateur, qui insistait lourdement auprès de certains collègues pour obtenir des faveurs sexuelles.

« J'ai vu un tout jeune employé être littéralement harcelé tous les jours. Des commentaires du genre : "Quand est-ce que tu vas me sucer ?" », nous avait notamment raconté un témoin, dont l'histoire remontait au début des années 2010.

« J'en ai parlé aux gens, mais ils m'ont dit : "T'en fais pas, il est tellement moins pire qu'avant ! Avant, il mettait son pénis sur le bureau des gens pour les surprendre !" » - Un témoin à La Presse en octobre 2017

À la suite de ces révélations, l'ensemble des diffuseurs et des entreprises qui l'employaient, comme V, Radio-Canada, Rouge FM et Metro, ont rompu tous les liens avec lui. Hormis un message publié sur Facebook, Éric Salvail n'a jamais souhaité réagir à ces allégations et a disparu de la scène publique québécoise.

« Le constat est brutal, avait-il cependant écrit sur Facebook. Pendant de nombreuses années, dans de nombreuses situations et auprès de plusieurs personnes - bien au-delà de celles qui sont sorties publiquement - mes agissements ont causé du tort. Certes, je suis exubérant, intense, parfois cru, mon humour généralement consensuel repose souvent sur des malaises. Ce ne sont toutefois pas des justifications valables. Ce qui m'est paru drôle et divertissant comme malaises pendant des années, sans offense ou anodin ne l'était pas pour plusieurs personnes qui le recevaient. Ne l'était pas du tout. »

L'animateur et producteur se trouvait depuis plusieurs semaines dans son domicile de Fort Lauderdale, en Floride. Il a récemment fait l'acquisition d'une propriété sur la Rive-Sud de Montréal.

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CE QUE DIT LE CODE CRIMINEL

AGRESSION SEXUELLE: Selon le Code criminel canadien, l'agression sexuelle se définit comme suit : voies de fait commises dans des circonstances de nature sexuelle telles qu'il y a atteinte à l'intégrité sexuelle de la victime. L'agression sexuelle de niveau 1 (il y a trois niveaux) ne cause pas ou presque pas de blessures corporelles à la victime. Dans le cas qui nous préoccupe, une agression sexuelle de niveau 1 (article 271) est reprochée à Éric Salvail. L'agression sexuelle de niveau 2 implique notamment l'usage d'arme et celle de niveau 3 « blesse, mutile ou défigure la victime ou met sa vie en danger ». Dans le Code criminel, il est alors question d'agression sexuelle armée (article 272) et d'agression sexuelle grave (article 273). Pour l'agression sexuelle de premier niveau, la peine maximale d'emprisonnement est de 10 ans si le plaignant a plus de 16 ans.

SÉQUESTRATION: La détention d'une personne contre son gré au moyen de menace, de contrainte, de violence ou d'une manifestation de force constitue au Canada une infraction criminelle, appelée « séquestration ». Le Code criminel définit la séquestration comme le fait de priver une personne de sa liberté de se déplacer entre « deux points » en la séquestrant, l'emprisonnant ou la saisissant de force sans autorisation légitime. Un individu reconnu coupable de séquestration s'expose à une peine maximale de 10 ans de prison.

HARCÈLEMENT CRIMINEL: Le Code criminel canadien interdit à tout individu d'agir à l'égard d'une personne sachant qu'elle se sent harcelée ou sans se soucier qu'elle puisse se sentir harcelée, si le geste posé a pour effet de lui faire raisonnablement craindre pour sa sécurité. Il est notamment interdit de suivre une personne ou de communiquer avec elle de façon répétée, de surveiller son domicile ou son lieu de travail ou de se comporter d'une manière menaçante à l'égard de cette même personne. Quiconque est déclaré coupable de cette infraction est passible d'un emprisonnement maximal de 10 ans.