L'homme d'affaires multimillionnaire à qui le tribunal a ordonné de payer 2,3 millions à son ex-conjointe de fait veut faire casser ce jugement, et il a commencé sa contestation hier en Cour d'appel.

Première étape : il refuse de payer 100 000 $ à son ex-conjointe pour qu'elle puisse payer les frais judiciaires pour se défendre, alors que la procédure s'annonce longue.

Cette cause n'a pas fini de susciter des débats, devant les juges et à l'extérieur des tribunaux, au moment où la nouvelle ministre de la Justice, Sonia LeBel, dit avoir l'intention de réformer le droit de la famille pour tenir compte de la nouvelle réalité des couples avec enfants.

La décision rendue en septembre par la Cour supérieure accordait 2,3 millions à l'ex-conjointe de fait, même si le couple, qui a fait vie commune pendant 16 ans et a eu deux enfants, n'a jamais été marié. Elle prévoyait aussi une « provision pour frais », montant destiné au paiement de la procédure légale.

Comme le millionnaire a demandé de faire appel du jugement, il n'a pas à payer immédiatement les 2,3 millions à son ex-conjointe, mais la « provision pour frais » de 100 000 $ est payable même en cas d'appel. C'est ce qu'il conteste.

Bien que madame n'ait pas les mêmes moyens financiers que monsieur, elle pourrait utiliser une marge de crédit sur la résidence familiale pour payer les frais de justice, a fait valoir l'avocat du millionnaire, Luc Arnault, en Cour d'appel.

Si l'ex-conjoint devait payer cette somme, il lui faudrait encaisser des placements, ce qui entraînerait une facture fiscale salée, et donc un préjudice important, a expliqué Me Arnault.

25 MILLIONS CONTRE 50 000 $

Un tel motif de refus est « presque indécent », a rétorqué l'avocat de l'ex-conjointe, Éric Marquette.

« On a un homme qui a une fortune évaluée à 25 millions de dollars, qui n'a pas besoin de travailler, de son propre aveu, pour générer des revenus, face à la mère de ses enfants, qui génère un revenu de 50 000 $ par année, qui a un actif net, incluant sa part dans la résidence familiale, de moins de 500 000 $ », a souligné Me Marquette, pour illustrer la disparité des moyens entre les deux parties.

Les protagonistes ne peuvent être nommés, pour préserver l'anonymat de leurs enfants mineurs.

Le juge de la Cour supérieure Robert Mongeon a ordonné au riche homme d'affaires de verser 2,3 millions à son ex-compagne, pour reconnaître le fait que sa présence à la maison, auprès des enfants, pendant qu'ils vivaient en union libre, lui avait permis de se consacrer au projet d'entreprise qui l'a rendu millionnaire.

Les couples mariés qui divorcent ont droit au partage du patrimoine familial, constitué des actifs accumulés pendant la vie commune, mais pas les conjoints de fait.

C'est donc sur la base du concept d'« enrichissement injustifié » que le juge Mongeon a accordé un montant à cette femme, parce qu'elle avait aussi contribué à sa façon à l'enrichissement du ménage. Quand un couple décide d'avoir des enfants, il démontre un engagement, un projet commun, qui s'accompagne d'attentes raisonnables de part et d'autre, explique le jugement.

FAIRE COLLER LE DROIT À LA RÉALITÉ

Dans sa décision, le juge Mongeon critique sévèrement le gouvernement, qui ne fait rien pour « faire coller le droit à la réalité socioéconomique du XXIe siècle ».

« Sauf semble-t-il le législateur, tous s'accordent à dire qu'en 2018 les conjoints de fait ont droit à une meilleure protection et à une plus grande reconnaissance de leurs droits de la part du système judiciaire », écrit le juge Mongeon.

La nouvelle ministre de la Justice, Sonia LeBel, compte justement entreprendre une réforme du droit de la famille sur la base des recommandations du rapport Roy, déposé en 2015, qui concluait que la venue d'un enfant, plutôt que le mariage, devrait créer des obligations entre conjoints, en cas de séparation. Un conjoint ayant sacrifié une partie de son salaire pour consacrer plus de temps à la famille pourrait ainsi obtenir une compensation, qu'il ait été marié ou non, pour reconnaître la proportion grandissante des couples en union de fait.

Mais pour le moment, dans la cause soumise à la Cour d'appel, l'avocat du riche homme d'affaires a l'intention de plaider que l'ex-conjointe de fait n'a droit à rien de plus de la part du père de ses enfants. « Ce n'est pas aux juges de faire les lois », a souligné Me Arnault.

« On a un homme qui a une fortune évaluée à 25 millions de dollars, qui n'a pas besoin de travailler, de son propre aveu, pour générer des revenus, face à la mère de ses enfants, qui génère un revenu de 50 000 $ par année, qui a un actif net, incluant sa part dans la résidence familiale, de moins de 500 000 $. »

- Éric Marquette, avocat de l'ex-conjointe

« Sauf semble-t-il le législateur, tous s'accordent à dire qu'en 2018 les conjoints de fait ont droit à une meilleure protection et à une plus grande reconnaissance de leurs droits de la part du système judiciaire. »

- Robert Mongeon, juge de la Cour supérieure