Un an après l'éclatement du mouvement #moiaussi, la clinique juridique Juripop lance officiellement cette semaine L'Aparté : un guichet unique, confidentiel et gratuit destiné aux artisans du milieu culturel qui sont victimes de harcèlement ou d'inconduite sexuelle. La mise sur pied de L'Aparté découle principalement du regroupement des femmes « victimes de Gilbert Rozon », les « Courageuses ». Explications.

« Juripop a été mon phare, ma lanterne. Ça va au-delà des services. C'est dans la patience, la bienveillance, la considération... Dans le fait de savoir qu'on peut prendre des actions. De se dire : je peux me reprendre en main. »

Chantal*, qui préfère taire son vrai nom en raison de sa plainte déposée à la police, fait partie des « Courageuses », ce groupe de femmes qui se déclarent « victimes de Gilbert Rozon ». Elle ne pourrait mieux décrire le rôle de Juripop - l'organisme à but non lucratif qui favorise l'accès à la justice pour tous - qui lance officiellement cette semaine le guichet unique indépendant, confidentiel et gratuit destiné aux artisans du milieu culturel qui sont victimes de harcèlement ou d'inconduite sexuelle.

Lancé en juillet dernier, le guichet actuellement en rodage baptisé L'Aparté répond déjà à un grand besoin.

Une vingtaine de personnes, dont six hommes, sont « accompagnées » par l'avocate Virginie Maloney, qui coordonne L'Aparté.

Il y a des cas d'agressions sexuelles, d'intimidation et de harcèlement psychologique. Pour des faits du passé, mais aussi très récents. Un appel reçu un lundi rapportait des faits survenus le week-end précédent.

CONFIDENTIEL ET INDÉPENDANT

L'Aparté est destiné aux artisans culturels de 44 associations ou regroupements professionnels du Québec qui ont récemment adopté un code de conduite commun, dont l'ADISQ, le Regroupement québécois de la danse ou l'Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ). Un figurant dans un film ou un bénévole dans un festival de musique peut aussi y avoir recours.

En mars dernier, rappelons que Québec a annoncé l'attribution de 900 000 $ sur trois ans pour lutter contre l'inconduite sexuelle dans le milieu de la culture.

L'Institut national de l'image et du son (INIS) a reçu les deux tiers de cette somme pour créer des formations offertes à l'ensemble du secteur culturel.

Le reste a été remis à l'Union des artistes (UDA), qui a confié à Juripop la création du guichet unique qui est devenu L'Aparté. « Les associations nous ont mandatés, mais c'était clair qu'il fallait que l'on soit un lieu sécuritaire et indépendant », indique la directrice de Juripop, Sophie Gagnon.

UN MILIEU PARTICULIER

Avant de devenir l'avocate qui coordonne l'Aparté, Virginie Maloney était spécialisée en droit du travail et en indemnisations de salariés, mais elle connaissait peu le secteur de la culture. « C'est un milieu particulier, souligne-t-elle. Il y a beaucoup d'emplois précaires, de pigistes... C'est du bouche-à-oreille, et les gens ont peur d'avoir une mauvaise réputation. C'est aussi un milieu où il y a une proximité et une hiérarchie. Quand on part tourner quelque part, par exemple. »

« Il y a une relation particulière au corps. En danse, par exemple, le corps est l'outil de travail, et il y a du toucher. » - Sophie Gagnon, directrice de Juripop

Depuis les débuts de L'Aparté, Virginie Maloney a déjà aidé des victimes à avoir recours à l'IVAC (Indemnisation des victimes d'actes criminels). « Des dossiers ont déjà été acceptés », souligne-t-elle avec fierté.

L'avocate note toutefois qu'« il y a des limites au droit ». Sauf s'il bénéficie d'une entente collective - ce qui est rare -, un travailleur autonome qui vit du harcèlement psychologique n'a pas accès aux protections des lois du travail et est limité aux recours civils devant les tribunaux judiciaires.

Dans le cas des salariés qui voudraient se tourner vers la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), l'employeur est impliqué dans le dossier. Dans un cas d'agression sexuelle, il aurait donc accès aux données personnelles de la victime. C'est un mécanisme qui se prête aux accidents de travail et non aux agressions sexuelles.

DE L'ÉCOUTE

Au-delà du fait de vulgariser la loi et ses recours, L'Aparté offre de l'écoute. « Juste de dire aux gens : "Oui, ce que tu as vécu est une agression sexuelle", cela leur fait du bien », souligne Sophie Gagnon.

« Nous ne sommes pas un guichet pour porter plainte, mais pour offrir des ressources », précise l'avocate.

Mais Juripop aimerait que L'Aparté soit destiné à d'autres milieux et industries que la culture. « Nous avons des appels d'infirmières, de préposés aux bénéficiaires, de cols bleus, souligne par ailleurs Virginie Maloney. Cela sort de mon mandat, mais je les dirige au bon endroit. »

Sophie Gagnon voudrait aussi pouvoir faire plus que de l'accompagnement. « On pourrait faire de la représentation devant les tribunaux. »

* Nom fictif

Les Courageuses réduites au silence

« C'est un paradoxe. Ces femmes qui ont brisé le silence sont maintenant réduites au silence. »

Sophie Gagnon, directrice de la clinique juridique Juripop, parle des « Courageuses », le groupe de femmes qui accuse Gilbert Rozon de harcèlement et d'agressions sexuelles. Au printemps dernier, la Cour supérieure a donné le feu vert à leur demande d'action collective. Or, un juge a autorisé les avocats de l'ex-grand patron de Juste pour rire à interjeter appel.

Juripop a aussi aidé les « Courageuses » quand elles ont choisi les deux cabinets d'avocats qui ont déposé leur demande d'action collective. Et elle en a épaulé de façon individuelle quand des plaintes ont été déposées à la police.

« C'est grâce aux "Courageuses" que L'Aparté existe, fait valoir Sophie Gagnon. C'est frustrant en ce moment de voir que ces femmes-là qui ont porté plainte sont actuellement tenues sous silence à cause de l'enquête du DPCP [Directeur des poursuites criminelles et pénales]. »

« Juripop a été d'une aide extraordinaire, dit Chantal*. Nous n'avons pas fait de faux pas grâce à Juripop. »

RETROUVER SA DIGNITÉ

Quand Chantal a vu le message de la réalisatrice Lyne Charlebois concernant Gilbert Rozon sur Facebook, elle a souhaité ajouter sa voix à celles qui dénonçaient le producteur. Or, Chantal n'avait jamais parlé à ses proches de l'incident qui a bouleversé sa vie. Elle ne voulait pas faire de sortie dans les médias, mais elle était prête à porter plainte à la police.

Toutes les étapes juridiques que cela allait comporter par la suite ont été « une dure épreuve », souligne-t-elle. Sans compter le stress post-traumatique.

« Je n'avais pas les moyens de me payer un avocat. Je fouillais sur l'internet. Puis, j'ai eu un flash : il me semble que Juripop est gratuit », se souvient-elle.

Chantal a alors fait parvenir un courriel à Juripop. « Sophie Gagnon m'a rappelée tout de suite et m'a fait le plus grand bien. »

L'avocate qui dirige Juripop a répondu à ses questions, que ce soit sur le délai de prescription ou les différences entre poursuite civile et poursuite criminelle. « J'étais perdue et là, j'avais des options pour me reprendre en main. »

« Au-delà de la valeur pédagogique, Juripop a une compréhension des effets psychologiques de ce que l'on vit, souligne Chantal. Ce qu'elles ont développé avec L'Aparté est sur la base de ce que l'on a vécu ensemble. »

Il faut être solide pour porter plainte pour agression sexuelle car « on se sent intimidée de toutes parts, dit Chantal. Je n'y serais pas arriver sans Juripop. Je dirais même que Sophie Gagnon m'a redonné ma dignité. »

* Nom fictif