L'intervention du Service de police de Lac-Simon durant laquelle le jeune policier Thierry Leroux a été tué comportait des lacunes, conclut la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) dans un rapport d'enquête dévoilé hier. Le Conseil de bande assure faire tout en son pouvoir pour qu'une telle tragédie ne se reproduise pas, tandis que le père du policier tué se bat pour que son fils ne soit pas « mort pour rien » en mettant sur pied une fondation.

Michel Leroux n'en veut pas à Anthony Raymond Papatie, le jeune homme de 22 ans de la communauté algonquine de Lac-Simon qui a tué son fils Thierry le 13 février 2016. L'agent Leroux, 26 ans, a reçu deux balles dans le dos. Il n'a eu aucune chance. M. Papatie s'est ensuite suicidé. « La vengeance ne donne rien, a lancé le père endeuillé en entrevue à La Presse. M. Papatie est aussi une victime. Comme société, il faut s'attaquer aux causes fondamentales qui ont mené à ce drame : la toxicomanie, l'accessibilité aux armes à feu, le manque de traitements pour ceux qui éprouvent des problèmes de santé mentale. »

D'ici quelques semaines, M. Leroux lancera la fondation Thierry-Leroux pour venir en aide aux jeunes de 4 à 25 ans de la MRC de la Vallée-de-l'Or et de la communauté algonquine de Lac-Simon. « Notre souffrance va toujours être là, mais on peut faire en sorte que Thierry ne soit pas mort pour rien, a expliqué M. Leroux. Les jeunes comme M. Papatie, il faut leur donner de l'espoir et les sortir de la rue. »

Quant au rapport de la CNESST, M. Leroux n'y voit pas une critique du travail de son fils et de son partenaire de patrouille. « Il y a une nuance entre faute et lacune. Et des lacunes, il y en avait, ne serait-ce que le manque d'effectifs policiers », croit le père du jeune agent assassiné.

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CHRONOLOGIE DU DRAME


13 FÉVRIER 2016, RÉSERVE DE LAC-SIMON

VERS 22 H 10

« Si tu appelles la police, je vais le tirer, le policier. » Anthony Raymond Papatie fait cette menace quelques minutes seulement avant de tuer l'agent Leroux. Une querelle vient alors d'éclater entre lui et sa conjointe dans une résidence de la communauté algonquine de Lac-Simon. Après avoir frappé sa conjointe au visage, M. Papatie, 22 ans, se réfugie au sous-sol, armé d'une carabine. Il affirme qu'il va se suicider.

VERS 22 H 20

« Ça tire », dit une femme qui appelle la police. Elle ne fournit pas davantage d'information, malgré les efforts du confrère de l'agent Thierry Leroux au bout du fil pour savoir ce qui se passe. « Attends-nous, on s'en vient », lui répond le policier. À l'arrivée des deux agents, une femme debout sur le balcon avant de la résidence leur fait signe de s'approcher.

MANQUE DE COLLABORATION

L'agent Leroux discute avec cette femme pendant que son confrère tente de voir - sans succès - ce qui se passe à travers les fenêtres du sous-sol. Les policiers décident d'entrer dans la résidence. L'agent Leroux se dirige alors vers l'escalier qui mène au sous-sol. Il croise une femme « stressée » qui monte l'escalier. Le policier Leroux l'interpelle, et même s'il la retient physiquement, elle ne répond pas à ses questions. L'agent Leroux entreprend une discussion avec M. Papatie du haut de l'escalier. Pendant ce temps, son collègue parle aux autres occupants des lieux. L'un d'eux l'informe que M. Papatie est armé.

« J'VAIS TE POGNER »

« Toi, tu ne menaceras pas de même, si je descends, j'vais te grabber, j'vais te pogner », lance alors l'agent Leroux à M. Papatie, avant que son confrère lui murmure à l'oreille que l'homme au sous-sol est armé. Le confrère de l'agent Leroux propose alors à M. Papatie de monter à l'étage pour discuter. « Non, té qui toé ? », lui répond ce dernier. Sentant que M. Papatie ne coopère pas, le policier se retire et laisse l'agent Leroux poursuivre la discussion. Quelques secondes plus tard, il entend l'agent Leroux descendre rapidement l'escalier. Puis, des cris retentissent, suivis d'un coup de feu. Alors que le policier court vers le salon, il entend un second coup de feu. Il sort de la maison, mais se ravise, considérant qu'il reste des gens à l'intérieur, et il fait évacuer tout le monde.

VERS 22 H 28

Une fois à l'extérieur, le policier contacte l'agent Leroux par radio. Ce dernier trouve la force de lui répondre : « Chu mort. » Le confrère de l'agent Leroux utilise son cellulaire pour aviser le sergent de garde que son collègue a été atteint par balle. Au même moment, M. Papatie annonce sur son compte Facebook qu'il vient de tuer un policier. Puis, il se suicide.

VERS 22 H 55

Des policiers de la Sûreté du Québec arrivent en renfort dans cette communauté algonquine située à 32 km au sud-ouest de Val-d'Or, en Abitibi. Ils ne peuvent que constater les décès de l'agent Leroux et de M. Papatie.

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ANALYSE DES CAUSES DE LA MORT DU POLICIER


L'intervention policière a été rapide - huit minutes au total entre l'appel aux policiers et le moment où le superviseur est avisé. « Ceci laisse donc peu de temps aux policiers pour effectuer une bonne analyse de la situation », écrivent les inspecteurs de la CNESST dans leur rapport d'enquête presque entièrement caviardé.

RECOMMANDATIONS SUIVIES

La CNESST a recommandé au Service de police de Lac-Simon d'améliorer « le système de communication des policiers sur le terrain et d'élaborer des directives de travail sécuritaires pour ses policiers ». Elle a aussi proposé que la patrouille soit effectuée à quatre policiers en tout temps sur le territoire. Le corps policier s'est conformé aux exigences.

RÉACTION DU CONSEIL DE BANDE

« Nous travaillons fort pour ne pas qu'une tragédie comme celle-là se reproduise », a dit la vice-chef de Lac-Simon Pamela Papatie, jointe au téléphone par La Presse. Après la mort de l'agent Leroux, la Sûreté du Québec avait assuré la sécurité avant de se retirer graduellement. Depuis le 19 février dernier, le Service de police de Lac-Simon a repris le flambeau. Toutefois, le corps policier local n'a pas les moyens - avec un budget de 1,3 million de dollars par an - d'avoir une patrouille à quatre policiers en tout temps sur le territoire, explique Mme Papatie. « On fait déjà des miracles avec le peu qu'on reçoit », dit-elle. Le Conseil de bande a donc récemment voté pour fermer le poste de police local s'il ne reçoit pas un meilleur financement des deux ordres de gouvernement (fédéral et provincial). « Nous sommes encore en pourparlers avec les gouvernements, a expliqué Mme Papatie. Je reste confiante qu'on en arrive à une entente d'ici le 30 juin. »

photo tirée de facebook

Anthony Raymond Papatie

photo archives la presse canadienne

Thierry Leroux