Deux frères montréalais obtiennent plus de 86 000 $ du site eBay pour les agissements du géant des ventes aux enchères en ligne qui leur a fait perdre une offre de 98 000 $ pour des espadrilles achetées... 320 $.

L'entreprise eBay Canada a retiré l'annonce des frères Kevin Mofo Moko et Sandrin Thierry Mofo Moko alors que la paire d'espadrilles venait de recevoir une offre de 98 000 $ en février 2012.

Il s'agit de plus de 300 fois son prix d'achat.

Peu avant un match des étoiles de la National Basketball Association (NBA) en février 2012, Thierry apprend que Nike s'apprête à mettre en vente 1200 paires de chaussures du modèle «Air Foamposite Galaxy 1». Une quarantaine de paires devaient être vendues dans une boutique de Montréal.

Le jeune homme fait la file pendant 30 heures en plein hiver pour se procurer le modèle convoité et il réussit à mettre la main sur une paire pour 280 $ plus taxes.

Elle sera ensuite mise en vente sur le site eBay.

L'engouement est manifeste. Quelques heures avant la fin de l'enchère, soit trois jours après l'affichage, les offres atteignent 98 000 $.

Mais deux heures avant la fin, l'annonce disparaît du site, sans préavis.

Kevin reçoit un message d'eBay l'informant qu'un «problème» a été détecté et que l'annonce est retirée. L'avis fait mention d'une violation de propriété intellectuelle et que le retrait est aussi dû au fait que le vendeur n'était pas un utilisateur fréquent du site.

Thierry communique avec eBay par téléphone et le préposé lui indique qu'il peut placer à nouveau l'annonce, ce qu'il fait. Il décide toutefois de la retirer avant la fin de l'enchère, alors que le prix offert est de 1500 $, parce qu'il croit qu'afin de poursuivre eBay en dommages, il doit conserver la paire de chaussures.

La poursuite est bel et bien intentée. Les deux frères reprochent à eBay d'avoir résilié unilatéralement leur contrat, sans raison.

Dans sa défense, eBay avance que les deux frères ont transgressé certaines clauses du contrat d'utilisation du site. Notamment, l'entreprise reproche au vendeur une violation de propriété intellectuelle, d'avoir utilisé le compte eBay de son frère, de ne pas avoir utilisé une photo de l'objet actuel vendu - dans ce cas-ci une photo générique commerciale -, d'avoir annoncé le bien comme étant neuf alors qu'il était usagé, d'avoir affiché l'objet avant d'acquérir lui-même le bien, d'avoir inscrit l'annonce pour une durée de trois jours, et le fait que le compte du vendeur était peu utilisé.

Dans une décision rendue à la fin du mois de septembre dernier, la juge Chantal Corriveau, de la Cour supérieure, écarte rapidement tous ces arguments, jugeant que les deux frères n'ont violé aucune règle.

D'abord, il n'y a pas eu de preuve de violation de propriété intellectuelle, énonce-t-elle. Puis, il est permis par les règles d'eBay d'avoir un accord avec une autre personne pour vendre un bien, tout comme d'utiliser des photos génériques, note la juge.

Elle souligne que le vendeur a acquis l'objet en temps utile pour le vendre - même si l'annonce avait été placée avant d'avoir obtenu les espadrilles au magasin. Celles-ci étaient neuves et vendues dans leur boite d'origine. Et puis, l'option d'enchères pour une durée de trois jours étant offerte aux utilisateurs, eBay ne peut ensuite leur reprocher de s'en servir, tranche-t-elle, pas plus que le fait que la vente soit initiée par un premier usager du site eBay. «Il y a tout de même toujours une première fois», écrit-elle.

En argument final, Ebay a soutenu avoir, en vertu du contrat, l'entière discrétion pour retirer une annonce et que cela ne la rend pas responsable de quelque dommage que ce soit.

Quant à cette clause discrétionnaire, le tribunal détermine qu'elle ne peut être opposée aux deux frères car elle est trop générale et vague.

Elle trouve donc l'entreprise fautive. «Malgré le volume extraordinaire d'annonces qui sont en activité quotidiennement, dans le cas sous étude, eBay aurait dû à tout le moins suspendre l'annonce avant de l'annuler» ou communiquer avec le vendeur avant d'agir, écrit la juge.

Elle établit les dommages à 86 700 $, soit le prix le plus élevé offert, moins la commission due à eBay de 10 pour cent et la somme de 1500 $ qui pouvait être obtenue lors de la seconde enchère.

Me Frédéric Allali, l'un des avocats des frères Mofo Moko, a déclaré que ses clients ont eu la plus grosse réaction qu'il ait jamais eue en leur apprenant qu'ils avaient gagné.

«Ils étaient abasourdis. Parce qu'ils réalisaient que c'était David contre Goliath. (...) Et que David avait peut-être le bon lance-pierre», a-t-il relaté en entrevue.

Me Allali dit avoir vérifié sommairement la jurisprudence à ce sujet et n'avoir rien vu de semblable: «rien du genre où on a dit: le prix pour lequel ça aurait été vendu, vous en êtes responsable».

Dans un courriel transmis à La Presse canadienne par la directrice des communications de l'entreprise, Camille Kowalewski, eBay Canada dit qu'elle étudie le jugement et qu'elle a l'intention d'interjeter appel.

L'entreprise a 30 jours pour porter le jugement en appel.

L'espadrille «Air Foamposite Galaxy 1» de Nike

Même avant que le modèle ne soit mis en vente en février 2012, Nike avait réussi à créer un niveau de frénésie et d'enthousiasme par une efficace campagne médiatique ainsi que sur les réseaux sociaux.

Il s'agissait par ailleurs de la première fois qu'un imprimé était ajouté par Nike sur le «foamposite», faisaient alors valoir plusieurs blogueurs.

Un nombre très limité de paires a été mis en vente, créant un sentiment d'exclusivité chez les amateurs.

Après les reportages montrant les files d'attente devant les magasins, ainsi que l'annonce d'un supposé acheteur qui offrait sa voiture contre une paire d'espadrilles Galaxy, l'enthousiasme a encore augmenté, générant des prix de revente élevés.