Le nouveau juge en chef de la Cour d'appel fédérale, Marc Noël, a profité du discours d'inauguration qu'il a prononcé à la Cour suprême du Canada vendredi pour pourfendre sa décision dans l'affaire Nadon, a appris La Presse.

«Seuls ceux qui veulent voir les Québécois et le Québec se désengager des institutions fédérales, pour ne pas dire en sortir, peuvent se réjouir de la décote des juges du Québec», a lancé le juge Noël en évoquant la nécessité de trouver une solution à ce «problème très concret» engendré par le jugement rendu par le plus haut tribunal du pays au mois de mars dernier.

La Presse a obtenu une copie de ce discours prononcé lors de la cérémonie de présentation du nouveau juge en chef de la CAF, qui s'est déroulée dans le hall d'entrée de la Cour suprême à Ottawa et où les médias n'étaient pas conviés.

Plusieurs invités de marque étaient présents, dont le juge Marc Nadon lui-même, le juge de la Cour d'appel du Québec Robert Mainville, trois juges de la Cour suprême (Louis LeBel, Michael Moldaver et Marshall Rothstein) et le bâtonnier du Québec, Bernard Synnott. Le juge Louis LeBel, qui a pris sa retraite dimanche, était assis au premier rang.

Pas une critique

Le nouveau juge en chef Noël a d'abord précisé qu'il n'avait pas l'intention de critiquer «la Cour suprême pour cette décision».

«Par contre, en tant que nouvelle personne en charge, [...] j'ai un devoir de parler de ce que je crois être des répercussions non voulues, mais importantes pour les cours fédérales», a-t-il ajouté.

La Cour suprême a invalidé en mars la nomination de Marc Nadon dans ses rangs et statué que les juges de la Cour d'appel fédérale (d'où provenait M. Nadon) et de la Cour fédérale ne sont pas admissibles pour combler l'un des trois postes réservés au Québec sur son banc.

Le juge Noël n'a pas mâché ses mots pour dénoncer les conséquences de cette décision. D'abord, a-t-il dit, les juristes du Québec qui sont nommés à une cour fédérale le sont en raison de leurs connaissances du droit québécois, notamment. Or, cette nomination les rend soudainement inadmissibles à la Cour suprême, contrairement à leurs collègues du reste du Canada.

«Le Québec ne peut se réjouir du fait que ceux qui occupent la place qui lui est réservée au sein des cours fédérales ont désormais un statut moindre que celui réservé aux juges des autres provinces», a tranché le juge Noël.

Ensuite, la décision a été largement comprise dans les médias comme signifiant que les juges des cours fédérales sont déconnectés des valeurs sociales et du droit civil du Québec, a noté le nouveau juge en chef.

«Une incapacité institutionnelle n'est pas un problème passager, a-t-il dénoncé. Le fait que les juges de Common Law sur nos cours ne sont pas affectés par cette tempête est une mince consolation. Un bateau qui prend l'eau de la poupe, mais pas de la proue ne restera pas à flot longtemps.»

Marc Noël a exhorté les personnes présentes à régler ce problème important: «Le rôle essentiel joué par les cours fédérales nous impose à tous, qui avons foi en ce pays, le devoir de trouver une solution.»

Ovation

La juge en chef de la Cour suprême, Beverley MacLachlin, n'a pas voulu faire de commentaire hier. Elle a martelé au cours des derniers mois que l'avis dans le renvoi sur la nomination du juge Nadon a été rendu et qu'il est temps de tourner la page.

Selon deux sources, le discours a été bien reçu par plusieurs membres de l'assistance, puisque de nombreux juristes de la région d'Ottawa sont en désaccord avec l'avis de la Cour dans cette affaire.

Une ovation a d'ailleurs accueilli les paroles du juge Noël lorsqu'il a noté que «personne n'aurait dû être confronté à l'épreuve que le juge Nadon a été forcé d'endurer».

Marc Noël

Originaire de Québec, Marc Noël a été nommé à la Cour fédérale en 1992, après 15 ans de pratique privée. Il siège à la Cour d'appel fédérale depuis 1998. Le juge a succédé à Pierre Blais à titre de juge en chef en octobre. M. Blais avait été ministre de la Justice sous Brian Mulroney.

Audiences sur le transfert de Robert Mainville

C'est aujourd'hui à Montréal que la Cour d'appel du Québec entendra la contestation du transfert de Robert Mainville sur son banc. M. Mainville est un autre juge de la Cour d'appel fédérale dont le nom avait circulé comme candidat potentiel à la Cour suprême. L'avocat Rocco Galati conteste la constitutionnalité de ce transfert. Selon lui, il s'agit d'un moyen détourné choisi par Ottawa pour pouvoir nommer à la Cour suprême des juges du Québec qui proviennent des cours fédérales.

Suzanne Côté assermentée

Suzanne Côté, qui est devenue la semaine dernière la première femme à avoir été nommée directement de la pratique privée à la Cour suprême du Canada, a été assermentée hier lors d'une cérémonie privée. Elle remplace Louis LeBel, qui a pris sa retraite dimanche.