En l'absence d'un problème réel d'alcool au travail, un employeur n'a pas le droit de faire subir des alcootests aléatoires à ses employés, a confirmé la Cour suprême du Canada.

Le plus haut tribunal du pays a rendu vendredi une décision divisée 6-3.

La Cour suprême devait confirmer si une décision d'un conseil arbitral de travail était raisonnable ou non.

Celui-ci avait décidé que la politique sur les tests d'alcoolémie au hasard n'était pas acceptable: la vie privée des employés serait indûment brimée alors que l'employeur n'avait pas démontré de problématique d'alcool généralisée sur son lieu de travail, une conclusion approuvée par la Cour suprême.

Celle-ci a toutefois souligné dans sa décision de vendredi qu'il serait possible pour un employeur d'avoir une telle politique si elle vise des employés ayant déjà eu des ennuis, par exemple, si l'un d'entre eux s'est déjà rendu au travail en état d'ébriété ou s'il a repris du service après une cure de désintoxication.

«La vie privée et la sécurité sont des intérêts liés au milieu de travail à la fois très importants et très délicats. Ils entrent aussi parfois en conflit, tout particulièrement lorsque le lieu de travail est dangereux», souligne d'entrée de jeu la juge Rosalie Abella, de la Cour suprême, qui a rédigé les motifs de la majorité.

L'affaire remonte à 2006 et implique l'entreprise Les Pâtes et Papier Irving, qui exploite une usine de papier Kraft sur les rives de la rivière St-Jean, au Nouveau-Brunswick. Ses patrons ont alors unilatéralement adopté une politique - sans négocier avec le syndicat - qui obligeait les employés occupant un poste critique pour la sécurité à se soumettre à des tests aléatoires de dépistage d'alcool administrés au moyen d'un alcootest.

Un employé d'Irving qui occupait un tel poste a été choisi au hasard et soumis à un test. Le test a révélé un taux d'alcoolémie de zéro.

Néanmoins, le syndicat a déposé un grief de principe pour contester le caractère raisonnable de la politique.

L'affaire a été jugée par plusieurs niveaux d'arbitres et de juges, mais en fin de compte, la Cour d'appel avait débouté le syndicat des employés. Ce jugement vient d'être infirmé par la Cour suprême, qui a rétabli la décision arbitrale.

«Dans un lieu de travail dangereux, l'employeur est généralement autorisé à faire subir un test de dépistage à un employé occupant un poste à risque (...) s'il a un «motif raisonnable» de croire que l'employé a les facultés affaiblies dans l'exercice de ses fonctions, a été impliqué directement dans un accident de travail ou un incident grave ou s'il reprend du service après avoir suivi un traitement pour l'alcoolisme ou la toxicomanie», indique la juge Abella.

Ici, la Cour a retenu, comme l'avait fait le conseil arbitral, que huit incidents d'alcool au travail en 15 ans étaient loin de traduire un problème généralisé. La juge croit ainsi que la direction de l'entreprise a agi déraisonnablement.

Mais il pourrait en être autrement, avertit-elle. «Cela ne signifie pas que l'employeur ne puisse jamais imposer une politique de tests aléatoires dans un lieu de travail dangereux. S'il s'agit d'une réponse proportionnée, à la lumière tant des préoccupations légitimes quant à la sécurité que du droit à la vie privée, une telle politique pourrait fort bien être justifiée», conclut-elle.