Accusé de distribution d’héroïne et de cocaïne aux États-Unis, objet d’une demande d’extradition, Roberto Scoppa, considéré par la police comme un membre de la mafia montréalaise, veut être libéré en attendant la suite du processus judiciaire.

Dans une requête déposée en Cour supérieure à Montréal que La Presse a obtenue, Roberto Scoppa, frère d’Andrew et de Salvatore Scoppa, tous deux assassinés en 2019, plaide qu’il ne représente pas un danger pour la population et que les risques de fuite sont inexistants.

Scoppa, 55 ans, dit avoir toujours occupé un emploi et se décrit comme un actif pour la société.

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Roberto Scoppa est accusé de distribution d’héroïne et de cocaïne aux États-Unis.

Il affirme que sa famille a besoin de lui, y compris son chien Rocky. Il dit fréquenter une salle de conditionnement physique quatre jours par semaine, sauf le mercredi.

Il offre de déposer son passeport, de porter un bracelet GPS, de ne pas communiquer avec les coaccusés et toute personne nommée dans les chefs d’accusation, et lui et sa conjointe sont prêts à s’engager pour 100 000 $, sans dépôt, pour prouver qu’il ne violera pas ses conditions.

Sa requête sera débattue à la fin du mois.

Trahis par un complice devenu taupe

Des documents judiciaires américains et canadiens nous permettent par ailleurs d’en connaître davantage sur la présumée implication de Scoppa, arrêté en janvier par la Gendarmerie royale du Canada (GRC), à la demande de Justice Canada et des autorités américaines.

Scoppa et quatre autres Canadiens dont un Québécois, Ivan Gravel Gonzalez, 32 ans, de Trois-Rivières, Ayush Sharma, 25 ans, et Guramrit Sidhu, 60 ans, tous deux de Brampton en Ontario et Subham Kumar, 29 ans, de Calgary en Alberta, ont été appréhendés à l’issue d’une importante enquête du Federal Bureau of Investigation (FBI) baptisée Dead Hand (Main morte).

Scoppa est accusé d’importation, de complot et de distribution de 5 kilogrammes d’héroïne et de 15 kilogrammes de cocaïne.

Une grande partie de la preuve du FBI repose sur la collaboration d’un camionneur qui a déjà effectué des transports de drogue et qui est devenu une taupe – un agent civil d’infiltration (ACI) – pour la police.

Durant l’enquête, la police lui a fourni un appareil de communication cryptée pour échanger avec les suspects, qui était surveillé en direct par les enquêteurs. Ses appels étaient également écoutés par les limiers et enregistrés.

Lors d’une rencontre avec les suspects à laquelle Scoppa a participé à Guadalajara, au Mexique, en décembre 2022, cet agent civil portait un système d’enregistrement caché (bodypack).

« Je viens de passer la frontière »

Durant l’enquête, l’ACI communiquait entre autres avec Sharma, un camionneur de semi-remorque qui devait livrer la drogue à Montréal.

Le premier décembre 2022, à 9 h 51, Sharma a texté l’ACI. « Je viens juste de franchir la frontière », a-t-il écrit.

Selon la police, le lendemain, Scoppa a écrit à un complice : « Ok, dis-moi quand l’auto sera à 20 minutes, mon gars te dira où aller ». « Au coin de Chabanel », ajoutera-t-il plus tard avant d’écrire à l’ACI « Mon gars va arriver dans un Jeep ».

Mais les enquêteurs de l’Unité mixte d’enquête sur le crime organisé (UMECO) de la Division C (Québec) de la GRC surveillaient déjà le lieu de rendez-vous, sur l’avenue du Parc.

Une fois un échange effectué par les suspects, les enquêteurs sont passés à l’action, ont arrêté Sharma et un autre individu, Carlo Randozzo, et ont trouvé 4 kg d’héroïne et 15 kg de cocaïne dans le véhicule de Sharma, ainsi qu’un numéro de billet de 20 $ CAN, un procédé appelé token, qui permet à des trafiquants de confirmer que la drogue est bien livrée à la bonne personne.

Un million de dollars par année

Seize jours plus tard, Scoppa s’est rendu à Guadalajara pour rencontrer l’ACI et un autre suspect, Eduardo Carvajal. Ce dernier avait auparavant dit à l’ACI qu’un individu surnommé l’Italien ou Lee était en réalité Roberto Scoppa et qu’il travaillait avec ce dernier depuis huit ans.

Durant la rencontre, l’ACI a remarqué l’accent canadien-français de Scoppa. Les trois hommes ont parlé de trafic de drogues et de l’échec du 2 décembre.

Selon la preuve, Scoppa aurait dit que le corridor Toronto-Montréal était brûlé et que lorsque des camionneurs se faisaient prendre, « certains [pouvaient] parler ».

Il aurait proposé à l’ACI de mettre la drogue dans des remorques de style U-Haul qui ont différentes plaques d’immatriculation. Selon Scoppa, celles-ci sont moins suspectées par les autorités et moins compromettantes pour les chauffeurs qui pourraient dire que la drogue était déjà là avant qu’ils louent la remorque. Scoppa aurait également mentionné que les chauffeurs doivent porter des gants pour ne pas laisser d’empreintes sur la drogue.

Au sujet de la saisie du 2 décembre à Montréal, Scoppa se serait demandé si le chauffeur n’avait pas été repéré par les caméras sur l’autoroute ou si un « rat » avait parlé. Il ne veut montrer du doigt personne et dit que la vérité sera connue lorsque la preuve sera divulguée.

« L’eau coule sous le pont », aurait dit Scoppa, ajoutant que le trio doit être certain que cela n’arrive plus « car cela pourrait couler jusqu’à nous et nous causer des problèmes ».

Scoppa aurait averti l’ACI de réduire son cercle et de faire des transports plus petits, « parce que 100 par mois, c’est parfait », aurait-il affirmé, ajoutant qu’il fait 1 million de dollars par année avec cette méthode.

Les trois hommes ont également parlé de blanchiment d’argent et Scoppa aurait indiqué utiliser une sorte de cryptomonnaie appelée Tether.

À partir du 21 décembre 2023, les enquêteurs de la GRC ont effectué quatre jours de surveillance autour de la résidence de Scoppa à Montréal et l’ont observé sortir de chez lui.

Celui qui est soupçonné avoir livré la drogue à Montréal, Ayush Sharma, a renoncé à contester son extradition.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou à l’adresse postale de La Presse.

L’histoire jusqu’ici

Roberto Scoppa est le frère d’Andrew et de Salvatore Scoppa, qui dirigeaient un clan calabrais de la mafia montréalaise et qui ont tenté un putsch avorté contre les Siciliens en 2016. Les deux ont été tués en 2019.

Le 30 janvier dernier, Roberto Scoppa a été arrêté avec une vingtaine d’autres personnes à l’issue d’une grande enquête du FBI contre des distributeurs et importateurs de drogues.

Scoppa est accusé aux États-Unis et est visé par une demande d’extradition.

En attendant la suite du processus judiciaire, Scoppa demande d’être libéré provisoirement.