« La guerre a commencé » : c’est ce que Dahia Khellaf a dit à une collègue au sujet de son divorce avec Nabil Yssaad, son mari qui la « traquait ». Craignant de ne plus voir ses enfants, ce dernier aurait tué la femme de 42 ans et ses deux jeunes garçons en décembre 2019, alors que sa santé mentale se dégradait.

Ce qu’il faut savoir

  • Le début de l’enquête du coroner révèle qu’en août 2018, Dahia Khellaf a porté plainte contre son mari, Nabil Yssaad. Le couple a deux fils en bas âge et réside alors dans le secteur de Pointe-aux-Trembles, à Montréal.
  • Une ordonnance de la cour qui interdit à Nabil Yssaad de s’approcher de son ex-conjointe ou de communiquer avec elle est imposée en décembre 2019. Dahia Khellaf pensait que son mari était schizophrène et souhaitait qu’il reçoive des soins psychologiques.
  • Quelques jours plus tard, Dahia Khellaf et ses deux enfants sont retrouvés morts dans leur résidence. Nabil Yssaad les aurait tués avant de se donner la mort, à Joliette.

« C’est quand elle a annoncé sa décision de se séparer que les problèmes ont commencé » : les procédures de divorce entamées par Dahia Khellaf auraient rendu Nabil Yssaad colérique et paranoïaque, a expliqué mercredi matin Najla Ben Ammar, une ancienne collègue de la victime.

Son témoignage a été entendu devant la coroner MAndrée Kronström, au troisième jour de l’enquête publique sur la mort de Dahia Khellaf et de ses fils de 4 et 2 ans, Adam et Aksil. C’est Nabil Yssaad, conjoint de la mère de famille et père de ses enfants, qui aurait commis ce triple meurtre en décembre 2019. L’homme de 46 ans s’était ensuite donné la mort en se jetant du sixième étage d’un hôpital de Joliette.

« Il la traquait », a révélé Mme Ben Ammar, qui travaillait avec la victime en 2018 au moment où la relation du couple battait de l’aile. Malgré une ordonnance de la cour qui l’empêchait de s’approcher de sa femme, Nabil Yssaad se rendait au domicile pour déneiger la voiture, avait confié Dahia Khellaf à sa collègue. Il était toujours dans les parages, rôdant dans les ruelles du quartier et près du lieu de travail de sa conjointe.

« Elle me disait qu’elle le croisait souvent en allant chercher les enfants à la garderie, comme s’il essayait de la traquer. Elle trouvait ça anormal », a répété la témoin.

La victime avait confié à sa collègue ses problèmes de couple. Dahia Khellaf trouvait son mari immature, irresponsable et nonchalant. Il n’assumait pas ses responsabilités financières dans la famille, avait-elle dit à son amie.

La séparation est imminente. La santé mentale de Nabil Yssaad se dégrade. Il tombe facilement dans « des délires » et croit que sa femme veut le retirer de l’hypothèque de la maison, a révélé Mme Ben Ammar.

Pas de garde partagée

Le sort des enfants après un éventuel divorce était au cœur des préoccupations du couple. Dahia Khellaf souhaitait la garde complète de ses deux fils, alors que son mari plaidait pour une garde partagée.

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE NABIL YSSAAD

Nabil Yssaad

L’annonce de la rupture définitive serait survenue trois mois avant le triple meurtre. « Elle voulait se séparer, vivre toute seule avec ses enfants. Elle ne voulait pas que ses enfants vivent dans les disputes », a expliqué son amie.

Dahia Khellaf passe devant le bureau de sa collègue la veille du drame et lui fait comprendre qu’elle est à bout. « Elle m’avait déjà dit : “ la guerre était commencée ”, peu après l’annonce du divorce », a raconté Mme Ben Ammar. Elle confiait à son amie que son mari la menaçait d’enlever les enfants, mais n’avait toutefois jamais eu de craintes sérieuses pour la sécurité de ses fils.

Des soins pour son mari

« Elle ne voulait même pas témoigner à la cour. Elle voulait qu’il reçoive des soins », a précisé Isabelle Gignac, une intervenante qui a suivi le dossier après la plainte pour violence conjugale de Dahia Khellaf.

La victime est ambivalente en 2019. Elle est toujours sur ses gardes, mais permet à son mari de communiquer avec elle et de revenir vivre au domicile par moments, ce qui contrevient aux conditions de l’ordonnance de la cour. Il va même parfois chercher les enfants à la garderie même si cela ne lui est pas permis. Sauf que parfois, elle a peur et insiste pour qu’il ne soit pas en sa présence. Il devenait paranoïaque et croyait que les voisins lui jetaient des sorts. Il l’avait dans le passé menacée de la tuer en faisant mine de l’attaquer avec des ciseaux. C’est dans ce contexte que des assouplissements aux conditions de Nabil Yssaad sont autorisés.

Elle insistait beaucoup pour dire que son mari n’était pas un criminel, mais qu’il était malade

Isabelle Gignac, intervenante qui a suivi le dossier après la plainte de Dahia Khellaf

Dahia Khellaf avait cherché une solution à ses problèmes de couple en 2016 par l’entremise de son programme d’aide aux employés. Elle se montre toutefois réfractaire lors de sa rencontre avec la travailleuse sociale et refuse de répondre à certaines questions de l’intervenante. « Elle était irritée. Elle remettait en question la pertinence de rencontrer une travailleuse sociale. Elle voulait plutôt un psychologue », s’est remémoré Catherine Allaire-Loiselle, travailleuse sociale à la retraite responsable du dossier de la victime à l’époque.

Rencontré par un criminologue

Il n’y avait pas d’indices laissant croire à des problèmes de santé mentale et aucune apparence d’éléments antisociaux chez Nabil Yssaad, a affirmé Jonathan Lambert, du service d’évaluation criminologique à la Cour et criminologue à l’Institut Philippe-Pinel de Montréal. « Je n’ai remarqué aucun élément psychotique apparent à ce moment-là. » Il a rencontré Nabil Yssaad dans le cadre d’accusations de violence conjugale. « Il décrivait au contraire sa femme comme colérique et dramatique. »

« Je n’étais pas à ce moment-là devant une situation qualifiée de dangereuse », a poursuivi le criminologue.

Il n’a donc pas dirigé M. Yssaad vers des ressources, ajoutant qu’il y en avait peu. « Pour les hommes à Montréal, c’est un problème. Il y a beaucoup plus de ressources pour femmes que pour hommes. »