Au surlendemain du violent incendie qui a détruit le monastère du Bon-Pasteur, à Montréal, les personnes touchées font face à la dévastation. À travers les scènes apocalyptiques, une lueur d’espoir : le clavecin Kirckman de 1772 pourra être restauré.

Ce qu’il faut savoir

  • De la fumée a été aperçue vers 16 h 30 jeudi venant du toit de la Chapelle historique du Bon-Pasteur ;
  • L’incendie a été déclaré éteint en avant-midi samedi ;
  • Un spécialiste en structure a inspecté le bâtiment samedi ;
  • Les personnes évacuées ont pu retourner sur les lieux récupérer leurs effets personnels. Le clavecin de 250 ans et d’autres instruments de musique sont aussi récupérés en milieu de journée ;
  • Personne n’est porté disparu ou n’a été blessé dans l’incendie ;
  • Le monastère abrite notamment des logements à loyer modique pour personnes âgées, et une coopérative d’habitation. Tous ces résidants ont dû être évacués ;
  • La Chapelle historique du Bon-Pasteur est reconnue comme l’une des salles de spectacle prestigieuses de Montréal. Elle est aussi membre du réseau des maisons de la culture de la Ville de Montréal ;
  • Le complexe patrimonial fait aussi office de « pionnier » dans la lutte pour la préservation du patrimoine à Montréal, a déclaré Dinu Bumbaru, porte-parole d’Héritage Montréal.

Des meubles enfouis dans la vase, des plafonds qui s’effondrent et toute une vie envolée : pour les dizaines de ménages qui ont pu retourner sur les lieux de l’incendie majeur au monastère du Bon-Pasteur samedi, le choc est grand.

La solidarité est palpable en périphérie du monastère du Bon-Pasteur samedi, pendant que les locataires attendent de pouvoir aller récupérer leurs effets personnels, accompagnés de pompiers et de policiers.

Ils sont des dizaines, des jeunes, des adultes, des aînés. Pour plusieurs, ce sont des décennies de vie en communauté qui disparaissent. Un choc difficile à encaisser.

« C’est très difficile, confie Caroline Hétu, la voix étouffée. J’habite ici depuis 22 ans. Je suis arrivée jeune étudiante, j’ai fondé ma famille. C’est mon milieu de vie, ma maison, ma communauté. Maintenant, ma vie est dans quatre sacs de vidanges. »

La famille vient d’aller constater les dégâts. « On n’a plus rien, c’est pire que ce à quoi je m’attendais », ajoute Mme Hétu. À ses côtés, sa fille adolescente, Charlotte, essuie ses larmes. « C’est ma maison, c’est difficile quand tu perds un chez-toi », explique-t-elle.

La coopérative Sourire à la vie existe depuis 37 ans. Certains des fondateurs vivaient toujours sur place.

Patrice Masse, un retraité qui habitait dans la coopérative, est sorti de chez lui avec son ordinateur, son passeport, son appareil respiratoire, et quelques boutures de plantes.

« Je m’y attendais, mais ça saisit, confie-t-il. L’important, c’est d’être en vie, mais ça fesse. Il y a 2 ou 3 pouces de vase à terre, on a l’impression que les plafonds vont s’effondrer. Tout est éparpillé », témoigne-t-il.

Je n’ai plus rien, j’ai tout perdu.

Patrice Masse, résidant

Montréal perd un haut lieu de sa scène musicale

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Un spécialiste de l’inspection des structures devra déterminer si le bâtiment du monastère du Bon-Pasteur est assez sécuritaire pour que les pompiers et les personnes évacuées puissent y entrer.

Pour la place qu’elle laissait aux jeunes musiciens. Pour son acoustique exceptionnelle. Pour ses instruments anciens, de grande valeur. Et pour son cadre intime, la salle de concert de la Chapelle historique du Bon-Pasteur tenait une place spéciale dans le cœur des Montréalais. « C’est vraiment d’une tristesse inouïe », s’est désolé samedi le directeur de la programmation, Simon Blanchet.

Quand l’alarme d’incendie s’est déclenchée jeudi après-midi, 15 choristes et 7 musiciens préparaient leur concert prévu en soirée dans la Chapelle historique du Bon-Pasteur. « Notre priorité a été d’évacuer toutes les personnes qui étaient sur scène », se souvient M. Blanchet.

Il est lui-même parti en catastrophe, laissant derrière tous ses effets personnels. Même ses clés.

Deux jours plus tard, il a finalement pu retourner sur les lieux, avec les pompiers.

C’est une scène apocalyptique. C’est comme si on avait besoin d’un parapluie, l’eau s’écoule du plafond, de partout, la scène est un lac.

Simon Blanchet, directeur de la programmation de la Chapelle historique du Bon-Pasteur

Son espoir : la reconstruction. Mais celle-ci dépendra des résultats de l’enquête et des évaluations qui devraient être réalisées dès le début de la semaine, selon lui.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

L’âme de la salle « était la musique », estime son directeur de la programmation, Simon Blanchet.

La mairesse de Montréal, Valérie Plante, et le ministre de la Culture, Mathieu Lacombe, ont assuré vendredi qu’ils seraient au rendez-vous.

« J’espère que les élus vont comprendre l’importance de la Chapelle, dit M. Blanchet. Parce qu’on est vraiment en deuil d’une salle dont l’âme était la musique. »

Un lieu bien-aimé

Les concerts donnés à la Chapelle historique du Bon-Pasteur n’étaient pas comme les autres, insiste M. Blanchet. Le cadre intimiste favorisait les échanges entre les musiciens et le public. L’acoustique était exceptionnelle. Et comme l’endroit appartenait à la Ville, il était possible de le louer à moindre coût. Résultat, des billets moins chers, et une vitrine pour la relève musicale.

De nombreux grands noms de la musique classique ont fait leurs premiers pas sur cette scène. Elle a notamment été inaugurée par le pianiste de renommée internationale Marc-André Hamelin, en 1988.

Le chef de l’Orchestre Métropolitain de Montréal, Yannick Nézet-Séguin, y a performé. Tout comme la soprano Karina Gauvin, la contralto Marie-Nicole Lemieux et le pianiste Louis Lortie, énumère M. Blanchet.

La chanson Tu m’aimes-tu, de Richard Desjardins, y a été enregistrée. L’album Pierre Lapointe seul au piano aussi.

« Depuis jeudi, j’ai vu passer beaucoup de témoignages touchants de chanteurs, d’instrumentistes, de clavecinistes », confirme au bout du fil Yoan Leviel, porte-parole du Studio de musique ancienne de Montréal.

« Pour les amateurs de musique baroque ancienne et classique, [la Chapelle] était considérée comme une maison, ajoute-t-il. La communauté est vraiment sous le choc. »

Des instruments sauvés

En périphérie des lieux, samedi, de nombreux habitués de la salle de concert venaient justement aux nouvelles. « C’est vraiment un drame, c’est énorme comme tragédie », a confié l’un d’eux, Robert Cazes, en observant les bâtiments abîmés. « C’était un endroit vraiment accessible, avec une acoustique exceptionnelle. »

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Le claveciniste Jean-Willy Kunz, en octobre 2015, à la Chapelle historique du Bon-Pasteur

« Savez-vous si le clavecin va être sauvé ? », nous a demandé une autre dame, rencontrée en matinée. Elle se trouvait dans la chapelle mercredi soir, lors du tout dernier concert qui y a été joué. Une soirée-bénéfice pour l’ensemble instrumental baroque Les idées heureuses.

Son souhait a finalement été exaucé.

Protégé par une housse noire, le clavecin bicentenaire qui se trouvait dans la chapelle tout au long de l’incendie a été transporté par les employés de Transport Gagnier en milieu de journée samedi.

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK D’YVES BEAUPRÉ

Le facteur de clavecins Yves Beaupré a partagé samedi cette photo du clavecin Kirckman 1772.

Quelques heures plus tard, le facteur de clavecins à qui il a été confié, Yves Beaupré, a transmis la bonne nouvelle. « Le clavecin Kirchman 1772 de la Chapelle du Bon Pasteur est encore bon pour un autre 250 ans, a-t-il écrit sur Facebook. Il a été sauvé des “eaux” et il est dans un état très correct vu les circonstances ».

Un piano de concert Fazioli se trouvait également sur les lieux lors de la tragédie et devait être sorti en fin d’après-midi.

Voyez « L’incendie du monastère du Bon-Pasteur en images »