C’est un coup de balai qui était attendu depuis des années par les connaisseurs. Des policiers ontariens ont annoncé vendredi l’arrestation de plusieurs faussaires et la saisie de plus de 1000 œuvres frauduleuses attribuées à l’artiste autochtone mondialement reconnu Norval Morrisseau, surnommé le « Picasso du Nord ». Les enquêteurs croient que des Québécois se sont probablement fait flouer par les suspects et invitent les collectionneurs à vérifier l’authenticité de leurs achats.

Huit suspects appartenant à trois groupes de fraudeurs ont été arrêtés mercredi à la suite d’une enquête conjointe de la police de Thunder Bay et de la Police provinciale de l’Ontario. Ils sont notamment accusés de fraude, de fabrication et usage de faux, de recel et de gangstérisme. Un neveu de Norval Morrisseau fait partie des accusés.

  • Tableau contrefait de l’artiste autochtone Norval Morrisseau

    PHOTO POLICE PROVINCIALE DE L’ONTARIO, FOURNIE PAR L’AGENCE FRANCE-PRESSE

    Tableau contrefait de l’artiste autochtone Norval Morrisseau

  • Tableau contrefait de l’artiste autochtone Norval Morrisseau

    PHOTO POLICE PROVINCIALE DE L’ONTARIO, FOURNIE PAR L’AGENCE FRANCE-PRESSE

    Tableau contrefait de l’artiste autochtone Norval Morrisseau

  • Tableau contrefait de l’artiste autochtone Norval Morrisseau

    PHOTO POLICE PROVINCIALE DE L’ONTARIO, FOURNIE PAR L’AGENCE FRANCE-PRESSE

    Tableau contrefait de l’artiste autochtone Norval Morrisseau

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Les enquêteurs affirment avoir découvert une production et une distribution massive de peintures, étampes et œuvres d’art, parfois dotées de faux certificats d’authenticité, faussement attribuées à l’artiste anichinabé de la nation Bingwi Neyaashi. Des faux étaient vendus par l’internet à des clients canadiens et internationaux, notamment aux États-Unis mais parfois aussi loin que l’Allemagne et la Chine. Même des musées se seraient fait prendre.

De l’aide du FBI

Le sergent-d’état major Jason Rybak, responsable du dossier à la police de Thunder Bay, a expliqué lors d’un entretien avec La Presse que c’est pendant une enquête sur un meurtre qu’il a commencé à s’intéresser au trafic d’œuvres d’art contrefaites. Une source lui avait suggéré de visionner le documentaire There Are No Fakes, parce qu’un passage du film donnait possiblement des indices sur la mort de sa victime. Le film suit les péripéties d’un membre du groupe Barenaked Ladies qui se fait flouer en achetant un faux tableau de Morrisseau, pour ensuite explorer les dessous de la production de faux dans la région de Thunder Bay.

« Nous avons commencé à faire des perquisitions et à saisir de fausses peintures », affirme M. Rybak.

« Je n’avais jamais mené une telle enquête, alors j’ai contacté l’équipe des crimes en matière d’art du FBI à Los Angeles, qui nous a guidés », dit le policier. Trois policiers de Thunder Bay ont été libérés pendant deux ans et demi pour se consacrer à ce dossier. La Police provinciale de l’Ontario s’est aussi jointe à l’enquête pour élargir la traque.

PHOTO TIRÉE D’UNE VIDÉO DE LA POLICE DE THUNDER BAY

Jason Rybak, responsable de l’enquête à la police de Thunder Bay

Nous croyons qu’il y a des gens au Québec qui ont acheté certaines de ces œuvres, mais nous n’en avons pas identifié pour l’instant. Nous prévoyons qu’avec la publicité autour de cette annonce aujourd’hui, nous allons en découvrir.

Jason Rybak, responsable de l’enquête à la police de Thunder Bay

« Cette enquête n’est pas terminée. C’est une enquête aux multiples facettes avec plusieurs déclarations de témoins et l’usage de technologies pour déterminer si une œuvre était fausse. Mais nous ne sommes pas en mesure d’aider chaque personne à déterminer si une œuvre est fausse. Nous encourageons les citoyens à aller chercher un avis légal s’ils se posent des questions », affirme l’inspecteur Kevin Veilleux, de la police provinciale.

La police mentionne que même avant la mort de Norval Morrisseau en 2007, des rumeurs circulaient déjà sur l’existence de faussaires qui usurpaient son nom. « Ses contributions et son succès mondial ont pu faire de lui une cible facile pour la fraude », a déclaré en conférence de presse la commissaire adjointe de la police provinciale, Kari Dart.

Un artiste qui a causé « choc et stupeur »

« La fraude autour de son nom, c’est assez énorme, ça fait longtemps qu’on en entend parler », confirme Guy Sioui-Durand, un spécialiste wendat de l’art autochtone d’Amérique du Nord, membre de la communauté de Wendake, près de Québec.

PHOTO ERICK LABBÉ, ARCHIVES LE SOLEIL

Guy Sioui-Durand, spécialiste wendat de l’art autochtone d’Amérique du Nord

M. Sioui-Durand affirme que la demande demeure forte à travers le monde pour les œuvres de Morrisseau, qui portait aussi le nom traditionnel de Copper Thunderbird, vu la puissance de son art.

[Morrisseau] a été élevé par ses grands-parents, qui étaient chamans, homme et femme médecine. Il a été élevé avec cette vision traditionnelle du monde, la vision autochtone peu connue, avec cette mythologie, ces récits fabuleux fondateurs, qu’il va révéler au monde dans les années 1960 par sa peinture.

Guy Sioui-Durand, spécialiste wendat de l’art autochtone d’Amérique du Nord

« Il va créer un style de peinture unique, le Woodland School. À sa première exposition à Toronto, c’est le choc et la stupeur. Ensuite, il va être invité dans de grandes expositions à Paris et ailleurs. On parle de lui comme du Picasso du Nord », dit l’expert.

M. Sioui-Durand ne se surprend pas de l’annonce de vendredi. « C’est dans l’air du temps, la question de l’identité, le fait d’essayer de faire du chemin sur l’identité des autres. Il y a une crise de l’identité derrière ça, mais il y a aussi pas mal d’argent », souligne-t-il.