Un incendie d’une rare complexité, avec des risques d’explosion et de contamination environnementale, a empêché les services d’urgence de se porter au secours des personnes prises dans les décombres, racontent des citoyens

Un village bouleversé, des résidants qui manquent à l’appel, des services d’urgence aux prises avec des défis complexes : un incendie dans une petite entreprise de distribution de propane a causé l’émoi jeudi à Saint-Roch-de-l’Achigan. Si des questions demeurent en suspens, une chose est sûre : la municipalité mettra du temps à se relever de cette épreuve.

Il était 11 h, jeudi matin, lorsqu’une lourde déflagration a été entendue — et ressentie — à des kilomètres à la ronde. Un incendie s’était propagé dans le dépôt de propane appartenant à l’entreprise Propane Lafortune, à Saint-Roch-de-l’Achigan, dans Lanaudière, provoquant des explosions. Le bâtiment a été complètement détruit.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

De la fumée se dégageait toujours des lieux jeudi en fin d’après-midi.

Selon nos informations, les propriétaires de l’entreprise, la famille Lafortune, n’étaient pas sur les lieux. Des employés ou clients se trouvaient toutefois sur place.

« ​​Le père d’une des amies de ma fille a été le premier arrivé sur les lieux », témoigne Steve Durocher, qui habite à moins de 200 mètres du lieu de l’incendie. « Il a vu une employée sortir en criant à l’aide, puis finalement, tout lui est tombé dessus. Il est sous le choc. »

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Steve Durocher, habitant de Saint-Roch-de-l’Achigan

Cette affirmation a été corroborée par plusieurs témoignages qui circulent sur les réseaux sociaux. « Il y a des morts c’est sûr, on entendait crier avant que ça s’effondre… les pompiers n’étaient pas là et c’était déjà trop chaud », a notamment écrit sur Facebook Jonathan Marquis.

« Quand j’ai passé [en voiture], il y avait beaucoup de feu et ça faisait des coups de pétard comme des feux d’artifice », raconte aussi Joëlle Ducharme. Celle qui travaille à la station-service du village réside dans la zone évacuée. « J’ai pesé sur le gaz parce que ni la police ni les pompiers n’étaient là », ajoute-t-elle.

En soirée, la Sûreté du Québec (SQ) a confirmé qu’au moins trois personnes manquaient à l’appel. Des contacts ont été initiés avec les familles de ces trois personnes.

La scène a été remise aux enquêteurs en scène incendie et aux crimes majeurs du corps policiers, qui ont entamé des recherches préliminaires « orientées vers la recherche de victimes potentielles », a indiqué la sergente Éloïse Cossette.

« On sait que ce travail d’expertise va se poursuivre sur plusieurs jours, puisque c’est une grande scène, et bien sûr, on doit faire un travail minutieux. On devra aussi composer avec les conditions météorologiques qui pourraient ralentir notre travail », a ajouté Mme Cossette.

La collaboration du CISSS de Lanaudière a été demandée, afin d’envoyer sur les lieux un psychologue pour porter assistance aux pompiers déployés sur la scène du drame, a confirmé à La Presse François Thivierge, directeur du Service de sécurité incendie de la MRC de Montcalm.

Rencontré par La Presse en marge d’une conférence de presse, le maire Sébastien Marcil, lui, s’est montré vivement ému devant cette tragédie. « On croise les doigts, c’est trois de nos citoyens qu’on cherche », a-t-il expliqué, des trémolos dans la voix et les larmes aux yeux.

M. Marcil est néanmoins soulagé que « le pire semble avoir été évité », le foyer d’incendie ayant été maîtrisé, empêchant ainsi les flammes de se propager.

Au départ, on craignait d’autres explosions à cause de la présence d’hydrocarbures tout près. Le pire semble avoir été évité, je pense, même si, de toute évidence, le bâtiment est une perte totale.

Sébastien Marcil, maire de Saint-Roch-de-l’Achigan

« On se serre les coudes. Saint-Roch-de-l’Achigan, c’est une petite communauté, mais tellement tissée serré. On va s’en remettre, mais c’est une occasion aussi de penser aux Lafortune, de toute notre solidarité à travers ce drame. Tout le monde connaît de près ou de loin cette famille. C’est une entreprise qui est établie chez nous depuis des années », a poursuivi M. Marcil.

Explosions et risques de contamination

Au-delà du drame humain, des risques d’explosion et de contamination en lien avec des déversements dans la rivière de l’Achigan ont aussi nettement compliqué le travail des pompiers, a expliqué M. Thivierge.

Des services spécialisés en protection de l’environnement ont été mis à contribution pour éviter une catastrophe environnementale. En outre, un périmètre d’un kilomètre a été évacué en raison des risques d’explosion. Une centaine de résidants touchés par l’évacuation se sont réfugiés dans l’église située au centre du village, réquisitionnée par la municipalité qui a déclaré l’état d’urgence.

En fin de soirée, tous les résidants ont pu réintégrer les domiciles en périphérie de l’incendie, qui a éclaté à environ un kilomètre du cœur du village.

Les explosions anticipées se sont en effet produites, a confirmé en après-midi M. Thivierge. Une cinquantaine de pompiers se sont ensuite affairés à éteindre les flammes, toujours visibles après le coucher du soleil. À ce moment, c’était essentiellement des hydrocarbures qui étaient en train de brûler, a indiqué M. Thivierge. Un agent moussant doit être utilisé pour les éteindre.

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Les pompiers du Service de sécurité incendie de la Ville de Saint-Lin–Laurentides, notamment, ont prêté main-forte au Service de sécurité incendie de la MRC de Montcalm.

Quatre autres services de sécurité incendie, ceux de Repentigny, de Rawdon, de Sainte-Julienne et de Saint-Lin–Laurentides, ont été appelés en renfort.

En soirée, jeudi, le ministre de la Sécurité publique, François Bonnardel, s’est dit conscient que « la situation est difficile pour les travailleurs et les familles ». « Les enquêtes commencent. Nous allons suivre le tout de près », a-t-il promis, soulignant au passage « le travail acharné des premiers répondants et de tous les services d’incendie impliqués ».

La famille Lafortune « bouleversée »

Propane Lafortune a été fondée en 1955. Elle est aujourd’hui dirigée par Isabelle, Karine et Michaël, les enfants de l’ancien dirigeant, Claude Lafortune. Très connue dans le village, la famille a affirmé, dans un communiqué, être « profondément bouleversée par les évènements ».

C’est la première fois en 60 ans que notre entreprise vit une telle épreuve. Nous sommes de tout cœur avec nos employés, leurs familles et tous ceux qui pourraient être touchés par cette situation difficile.

Extrait d’un communiqué de la famille Lafortune

« Nous laissons les autorités effectuer leur travail, et nous partagerons davantage d’information lorsque possible », peut-on également lire dans le communiqué.

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Une centaine de résidants touchés par l’évacuation se sont réfugiés dans l’église de Saint-Roch-de-l’Achigan.

« C’est sûr qu’on les connaît ces gens-là. Moi, je suis venu au monde ici. Je connais les propriétaires personnellement. Ça va nous affecter beaucoup », se désole Steve Durocher. « Karine, une des propriétaires, ses enfants jouent au hockey avec les miens. J’imagine ce qu’ils vivent en ce moment, ça doit être horrible. J’ai des employés, moi, et si ça m’arrivait demain matin, je ne sais pas comment je gérerais ça. »

« Je trouve ça dur, c’est un gros choc, affirme Linda Arsenault, barmaid du Bar Salon Saint-Roch. M. Lafortune [l’ancien propriétaire], on le connaît, c’était un monsieur réservé et tellement fin. C’est tellement du bon monde. »

« C’est difficile ce qui se passe aujourd’hui, tout le monde se connaît ici. Et donc c’est très émotif pour tout le monde », a confié à La Presse Alain Pelletier, le père d’une résidante, rencontré sur place. « C’est la chose la plus triste qui peut arriver, renchérit un autre résidant, Luc Hamelin. C’est de penser aux familles endeuillées qui est le plus dur. »

Vente et entreposage de propane et de gaz naturel : ce que dit la loi

Au Québec, l’industrie du propane et du gaz naturel est réglementée par un code d’installation strict, les risques associés à leur vente et à leur entreposage étant importants. C’est la Régie du bâtiment du Québec (RBQ) qui gère ce code gouvernemental. En voici quelques éléments clés :

• Chaque propriétaire d’une installation « non rattachée à un bâtiment » et vouée à entreposer ou distribuer du gaz est obligée par la loi d’obtenir un permis pour chacun de ses lieux d’exploitation.

• Si l’exploitant en question n’a pas pignon sur rue, il doit obtenir un permis « pour chaque véhicule destiné à distribuer du gaz », lit-on sur le site de la RBQ. Même l’échange de bouteilles de propane est encadré par un permis, qui est accordé à la suite d’inspections strictes, et récurrentes, afin de s’assurer de la sécurité des installations.

• Plus largement, plusieurs bonnes pratiques sont aussi connues. Les autorités recommandent par exemple de sécuriser le lieu de stockage du propane en l’installant à au moins un mètre d’une ouverture de bâtiment, à au moins trois mètres de toute entrée d’air mécanique, et à au moins six mètres de liquide lave-glace ou de « tout autre liquide inflammable ».

• Quant aux centres de ravitaillement, comme les stations-service, ils sont tenus de demander à leur fournisseur de propane « de reprendre toute bouteille qui ne peut être rangée dans l’armoire ».

• La Loi sur la distribution du gaz précise par ailleurs que les exploitants ont la responsabilité de « réglementer l’entreposage, l’emmagasinage, le transport et la manutention de tout gaz autrement qu’au moyen de conduits ».

• D’après la même loi, nul ne peut non plus installer un appareil à gaz « sans au préalable en informer le distributeur intéressé et lui indiquer avec précision la nature de l’appareil et l’endroit où doit se faire cette installation ».

Henri Ouellette-Vézina, La Presse

D’autres drames impliquant du propane ou du gaz naturel

Val-des-Sources (juillet 2022)

PHOTO JEAN ROY, ARCHIVES LA TRIBUNE

En juillet dernier, deux résidences de Val-des-Sources avaient été ravagées par l’explosion de cylindres de propane.

En juillet dernier, deux résidences de Val-des-Sources, anciennement Asbestos, avaient été ravagées par l’explosion de cylindres de propane, ce qui avait entraîné l’évacuation de l’ensemble des résidants de tout un quartier de la municipalité. Un octogénaire avait été blessé de façon sérieuse. Au début de janvier, le propriétaire de l’entreprise, André Vachon, a d’ailleurs été durement blâmé pour ses installations jugées « non conformes », qui représentaient un risque flagrant d’accidents.

Sherbrooke (mars 2022)

PHOTO JEAN ROY, ARCHIVES LA TRIBUNE

En mars dernier, au moins cinq personnes avaient été blessées lors d’une fuite de propane suivie d’une explosion au Centre de valorisation des aliments de Sherbrooke.

En mars dernier, au moins cinq personnes avaient été blessées, dont plusieurs grièvement, lors d’une fuite de propane suivie d’une explosion au Centre de valorisation des aliments de Sherbrooke. Comme à Saint-Roch-de-l’Achigan, une lourde déflagration avait été entendue autour de l’infrastructure. Le complexe, relativement neuf, avait alors été réduit en cendres. Dix ans auparavant, en 2012, une violente explosion avait déjà tragiquement fait trois morts à l’usine de transformation de Neptune Technologies, dans la même ville.

LaSalle, Montréal (1965)

L’une des déflagrations de gaz naturel les plus marquantes dans l’histoire de Montréal remonte à 1965, dans le quartier LaSalle. Le 1er mars de cette année-là, 28 personnes, dont plusieurs femmes et 18 enfants, avaient été tuées dans une explosion qui avait ravagé trois immeubles résidentiels. Seuls deux hommes avaient péri, la plupart étant déjà partis au travail. Au total, une trentaine de personnes avaient aussi été blessées. À l’origine de l’explosion : une fissure dans une conduite d’alimentation en gaz naturel.

Henri Ouellette-Vézina, La Presse